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atteste, jusqu’à l’excès peut-être, le goût des formules scientifiques, « Humanisez votre discours, » dit un des personnages de Molière à un littérateur trop prompt à s’armer de grands mots. Certaines classifications établies par M. Couture permettraient de former le même vœu quant à la langue pittoresque qu’il emploie. A quoi bon ces fréquens recours à « la base, » à « la dominante, » ou ces étiquettes, entre plusieurs autres, de « luminaristes, » de « turquistes, » attachées à des talens qu’il eût été facile de caractériser en termes moins rébarbatif ? L’attention qu’on prétend ainsi conquérir peut au contraire se laisser effaroucher par cet appareil scolastique, et un semblable résultat serait d’autant plus regrettable que, là même ou l’expression est le moins séduisante, les opinions de M. Couture se recommandent souvent par la justesse. Dans les questions de procédés surtout, dans ce qui concerne l’association des tons et le coloris, plusieurs préceptes mériteraient d’être étudiés de près par les artistes. Ils trouveraient là des avertissemens ou des indications véritablement profitables, parce que, sans parler de la confiance due au peintre expérimenté qui les donne, ces enseignemens s’appliquent à une des parties de l’art que les prescriptions matérielles intéressent le plus directement.

S’il est en effet dans la peinture un point sur lequel l’expérience et les avis d’autrui puissent avoir facilement une influence pratique, n’est-ce pas celui qui demeure en dehors de l’expression proprement dite, de l’interprétation morale ? Nous ne prétendons pas, tant s’en faut, qu’en matière de coloris tout soit affaire de traditions ou de recettes. Ici comme ailleurs, il convient de laisser leur part aux dons naturels, aux instincts. Ni les tableaux ni les livres ne suffiront pour faire d’un peintre un autre Paul Véronèse ou un autre Titien ; mais l’harmonie au moyen des couleurs a des conditions à la fois moins hautes et moins subtiles, des secrets moins rebelles à l’analysé que les inspirations qui se traduisent par la ligne, par les caractères du dessin. Contrairement à l’opinion assez générale sur la prétendue spontanéité du talent de coloriste, on peut dire que ce talent, si variés qu’en soient les témoignages, agit et se développe sous l’empire de certaines lois fixes, de certains exemples fidèlement transmis. Où trouver un tableau remarquable au point de vue du coloris dans lequel les tons choisis pour garnir les côtés ne forment une sorte de parenthèse entourant les teintes centrales et les recommandant d’autant mieux au regard ? Dans une sphère plus humble, comment expliquer, sinon par l’influence des traditions, cette invariable habileté des peuples Orientaux à combiner les couleurs des matières avec lesquelles ils fabriquent leurs étoffes, leurs tapis, leurs porcelaines ou leurs faïences ? Les Chinois, les Persans, les Arabes, ont été de tout temps coloristes et