Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Atlantique et de l’île de Vancouver dans le Pacifique. Nos voyageurs y arrivent environ sept semaines après leur départ de Liverpool. Ils ont traversé l’Atlantique, ils remontent le Saint-Laurent, visitent le Niagara, prennent au nord du lac Érié par Toronto, passent à Détroit sur la rive américaine, contournent les lacs par le sud, traversent Chicago, et se rendent en chemin de fer à Saint-Paul, sur le Mississipi supérieur. Ils remontent ce fleuve en bateau à vapeur jusqu’à La Grosse, où s’arrête la navigation. Une voiture publique les conduit, à travers les prairies de la vallée du Mississipi, à la vallée de la Rivière-Rouge. A Georgetown, ils s’embarquent sur deux canots en écorce de bouleau et achèvent les cinq cents milles qui les séparaient encore du fort Garry en devançant sans le savoir l’insurrection des Sioux, qui allait mettre derrière eux tout à feu et à sang dans le Minnesota.

Ne croyez pas que le fort Garry soit un lieu solitaire et silencieux, un simple comptoir avec des magasins qu’entoure une haute palissade flanquée aux quatre angles de petites tours carrées, comme sont la plupart des comptoirs de la Compagnie de la baie d’Hudson. Si le fort Garry n’a longtemps communiqué avec le reste du monde que par le convoi qui part annuellement du fort York, sur la baie d’Hudson, s’il n’a encore que des rapports irréguliers avec l’état américain du Minnesota, c’est le centre d’un monde à part, c’est une ville telle qu’il peut s’en élever sur le territoire de la Compagnie de la baie d’Hudson. Indépendamment des fermes et des hameaux dispersés le long de la Rivière-Rouge et de l’Assiniboine, huit mille habitans sont réunis autour du fort Garry. Ce sont des Anglais, des Écossais, des fils de Canadiens français, des demi-sang canadiens et des Indiens. Les deux langues qui s’y parlent le plus communément sont le français et une langue franque, mélange de patois bas-normand et d’indien. Les demi-sang donnent le ton. Ce sont des gens sans souci du lendemain, vifs et gais, prêts à endurer toutes les fatigues et s’abandonnant à la débauche dans les momens d’inaction. On n’entend au fort Garry que le bruit du violon et des cris de joie ; on n’y voit que danses et scènes d’ivresse. Deux fois par an, au printemps et à l’automne, la population entière quitte la ville, suivie par quinze ou seize cents chariots, et s’en va camper dans la prairie pourchasser le bison. Un millier de ces énormes animaux tombe à chacune de ces chasses, et leur viande conservée approvisionne la colonie jusqu’à la chasse suivante. Depuis l’introduction des colons par lord Selkirk, au commencement du siècle, le fort Garry a été le théâtre de plusieurs guerres civiles, et les esprits sont loin d’y être calmés. Les colons accusent la Compagnie Se la baie d’Hudson de préférer les intérêts de la chasse à ceux de l’agriculture. La compagnie défend le