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station anglaise dans le Pacifique et à la capitale commerciale de toutes les possessions britanniques dans cette mer.

La civilisation, sous les traits d’un garçon d’auberge, fit mauvaise mine à nos voyageurs la première fois qu’ils se trouvèrent en contact avec elle depuis leur vie sauvage. En arrivante Victoria par le paquebot de New-Westminster, lord Milton s’était rendu à l’hôtel à la mode en compagnie de M. et de Mme Assiniboine ; on le mit à la porte, lui et sa société. « Nous n’étions pas des gens respectables, » c’est-à-dire que nous n’avions pas l’air de gens riches, ajoute philosophiquement lord Milton. On le croira sans peine, car, sans parler des trois Assiniboine, qui devaient être singulièrement vêtus, lord Milton et M. Cheadle portaient des pantalons et des mocassins tirés des magasins de la compagnie à Kamloop. Aussi, dès le lendemain, vont-ils chez un tailleur se faire habiller de la tête aux pieds à la dernière mode de Vancouver, et achètent-ils des chemises, des bottes, tout ce qui fait un homme respectable. Ce devoir accompli envers eux-mêmes, ils veulent initier leurs amis indiens aux merveilles de la civilisation. Ils promènent M. et Mme Assiniboine en calèche découverte dans les rues de Victoria. Ils les conduisent à Port-Esquimalt, les font monter à bord d’un vaisseau de ligne, leur font voir un canon Armstrong et un amiral en uniforme, puis les mènent se régaler chez un pâtissier. La journée finit par une soirée à l’opéra, car Vancouver a un opéra et, qui plus est, un corps de ballet. Les mineurs, chassés du Cariboo par le froid pendant une partie de l’année, vont hiverner à Victoria ; ces messieurs goûtent beaucoup le corps de ballet, et ils ont pour habitude, quand un acteur les a mis en joie, de jeter sur lai scène des poignées de pièces d’or. Des voyageurs comme les nôtres ne pouvaient être à Vancouver et ne pas aller au Cariboo. Ce n’était que quatre cents lieues, huit jours pour l’aller et huit jours pour le retour. Une partie de la route pouvait se faire en bateau à vapeur, une autre en voiture publique à la mode californienne. Les quatre dernières journées seules étaient difficiles ; il fallait aller à pied par des sentiers de montagnes que la neige commençait à couvrir. Lord Milton et M. Cheadle s’habillent donc en mineurs comme ils s’étaient habillés en sauvages ; ils prennent le chapeau à fond plat et à grands rebords, les bottes imperméables qui montent jusqu’aux genoux, jettent sur leurs épaules la couverture pliée en deux, et se rendent à ces minés du Cariboo, célèbres dans le monde entier, pour parler comme le journal de Vancouver.

Que sont ces deux possessions anglaises dans lesquelles lord Milton et M. Cheadle viennent de s’introduire par une route si peu fréquentée ? Il y a quinze ans, elles n’avaient pas de nom officiel ;