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semblable proposition à la chambre des communes. Il ne saurait affirmer que le titre de la compagnie ait jamais été parfaitement légal ; mais il lui semble qu’on doit agir avec ménagement avant de mettre de côté un privilège qui a deux cents ans d’existence. On ne peut que souscrire aux principes de M. Bulwer et qu’approuver les sentimens du duc de Newcastle. Une colonie doit payer ses dépenses coloniales, et, si le temps des monopoles est passé, tout homme de cœur doit hésiter avant de porter la main sur une compagnie dont la chute sera le signal du massacre des indigènes. Il n’en est pas moins certain que le jour où l’Angleterre perdra ses possessions d’Amérique, ce sera pour n’avoir pas su faire de routes.

Si nous passons maintenant de l’ouest à l’est du continent américain, de la colonie aurifère à la colonie agricole, nous trouverons dans les belles et douces provinces du Canada le même besoin d’ouvrir des voies de communication. Au Canada comme dans la Colombie, le maître des routes sera le maître de l’avenir. Il ne s’agit ici ni d’une colonie de l’Angleterre ni d’un satellite des États-Unis. Le Canada est une province indépendante qui possède une individualité propre. La population s’y est accrue comme aux États-Unis, et elle s’y est accrue par les mêmes causes et les mêmes moyens. Depuis le commencement du siècle, Québec a doublé, Montréal a triplé, Saurel, à l’embouchure du Richelieu, a quadruplé. Toronto voit, tous les dix ou onze ans, doubler sa population. Celle du Haut-Canada a gagné 1,100 pour 100 ; elle a passé de 77,000 habitans à près d’un million. En même temps, quelle qu’en soit la cause, les nouveau-venus conservent les traces de leur origine et ne se modèlent pas sur un type unique. En devenant Canadiens, ils restent Français, Anglais, Écossais, Irlandais ; ceux-ci ont transporté avec eux leurs haines nationales et se plaisent à lever en face l’un de l’autre le drapeau orange et le drapeau vert. On est dans une colonie ; le pays est nouveau, et les habitans sont de vieille race. Toutefois qu’on ne s’y trompe pas, en Amérique tout le monde est Américain ; pour le Canadien comme pour le citoyen des États-Unis, l’Amérique, c’est la jeunesse, et l’Europe la vieillesse ; l’Amérique, c’est la force nouvelle qui changera l’équilibre du monde et la société nouvelle qui renversera les sociétés anciennes. Également, au nord comme au sud du 49e degré de latitude, l’ouest l’emporte sur l’est : Québec a cessé d’être la capitale du Canada, Ottawa a pris sa place, et l’homme de l’ouest est celui qui mesure la puissance à l’audace. Si le Canada n’a pas les instincts démocratiques des États-Unis, il admire ce gouvernement qui s’est donné pour mission de défricher un continent, qui sillonne de chemins de fer les solitudes et les déserts. Avec sa vieille population française, avec sa nouvelle population irlandaise, avec sa population anglo-saxonne libre par