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car la moraine ne cherche pas la ligne de plus forte pente ; elle va droit son chemin, coupant les creux en travers et passant par-dessus les collines de glace. Souvent même elle est portée sur une sorte de chaussée. Toutes les suppositions qu’on peut faire pour expliquer ce curieux phénomène tombent devant les faits, sauf une seule, mais celle-là si naturelle que d’elle-même elle se présente à l’esprit : il faut que le glacier chemine et transporte les blocs. Ce n’est pas tout ; il suffit d’examiner les matériaux de certaines moraines de surface, formées non par un îlot, mais par la jonction de deux glaciers, pour en trouver qui viennent de loin, et dont le lieu d’origine est sur les cimes elles-mêmes. Le fait est général ; il se produit même dans les cas où la conformation du glacier exclut toute idée de glissement, et il nous oblige à reconnaître, question soulevée tout à l’heure, que les neiges des régions supérieures, sous lesquelles disparaît l’origine des moraines, cheminent aussi bien que les glaces de la zone inférieure.

Nous pouvons dès à présent envisager les glaciers inférieurs non comme des golfes tranquilles, mais comme des coulées qui pénètrent plus ou moins avant dans une région que rien d’ailleurs ne condamnerait à une absolue stérilité. L’aspect en varie selon les accidens du chemin par où ils s’échappent vers la plaine. Parfois, au sortir des hauts bassins de la montagne, le glacier s’engage dans une longue vallée au fond presque plat ou doucement incliné. Dans ce cas, on a ce qu’on pourrait appeler le glacier tranquille. Il y en a de fort beaux exemples en Engadine, vaste contrée soulevée tout entière à la hauteur du Rigi, de telle sorte qu’en partant des sommets on entre presque tout de suite dans les vallées où le glacier chemine comme sur une grande route ouverte par la nature. Ces glaciers tranquilles ne sont pas les moins intéressans ; ils ont aussi leur majesté : ils ont en outre cet avantage particulier, qu’on peut les parcourir aisément et en étudier les détails. Il en est du glacier comme des plages de la mer : impossible d’y faire une simple promenade sans trouver mille choses à observer ; nous ne mentionnerons que les plus frappantes. La première place revient de droit au ruisseau du glacier. Dans ces froides solitudes, comme dans les vallons de la plaine, rien n’anime le paysage autant que le mouvement de l’eau. Le ruisseau, c’est la vie, c’en est au moins l’image ; mais les ruisseaux de terre ferme se creusent un lit où ils s’emprisonnent pour toujours ; ce lit a toute une histoire, le ruisseau y lutte de son mieux contre les accidens qu’il rencontre, il l’obstrue, il l’approfondit ; il s’y fait lac quand le passage est fermé, cascade sur les gradins qu’il faut franchir ; il y murmure, il y gronde, il y rejaillit, il y arrose des plantes, et y entretient à la fois la fertilité