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sur son œuvre après sa mort ; sa tombe fut profanée, son corps jeté aux gémonies, sa mémoire maudite, ses écrits recherchés et en grande partie détruits. Il n’en reste que quelques fragmens, conservés par ses adversaires pour les besoins de la controverse et publiés par Mabillon dans ses Analecta ; ils nous en apprennent assez néanmoins sur le tempérament de l’homme et le caractère de la réforme entreprise.

Tout cependant ne devait pas périr avec lui. Un moine du XVIIe siècle, de l’ancienne famille des comtes de Luserna, Marco Aurelio Rorengo, reconnaît dans une étude sur les origines vaudoises[1] que les idées de l’évêque de Turin se maintinrent durant les IXe et Xe siècles dans les parties montagneuses de son diocèse. Ses disciples, ajoute un écrivain non moins orthodoxe, chassés de la plaine subalpine, poursuivis par les princes catholiques, anathématisés par les papes, se réfugièrent dans les vallées supérieures. Peut-être y furent-ils attirés par un groupe déjà formé, resté en dehors du mouvement de la foi générale, et que n’avait point submergé la marée montante de l’orthodoxie nouvelle. Un passage de la controverse de saint Jérôme contre l’hérésiarque Vigilance semble donner quelque fondement à cette supposition. C’est en effet dans cette section des Alpes à laquelle le roi Cottius a laissé son nom que se réfugie l’adversaire poursuivi par Jérôme. « Il s’en est allé, dit-il, il a fui dans ce pays où régna Cottius, de là il a crié jusqu’à moi, et, ô crime ! il y a trouvé des évêques complices de ses scélératesses[2]. » Or on sait par cette controverse que Vigilance professait à peu près les doctrines défendues plus tard par Claude de Turin et les réformateurs du XVIe siècle ; il rejetait la suprématie de l’évêque de Rome sur les autres églises, condamnait les pratiques pharisaïques, les jeûnes, les abstinences, les macérations et la vie monastique. Quoi qu’il en soit de cette permanence d’un noyau réfractaire dans les Alpes, ce n’est qu’après la disparition de l’autonomie ambrosienne qu’il se révéla et qu’il fut aperçu des écrivains ecclésiastiques. Alors toute autre inégalité de discipline et de croyance étant abaissée et broyée, celle-ci apparut sur la surface nivelée de l’église à la façon de ces montagnes que les géologues ont reconnues avoir été formées par abaissement des surfaces voisines. Ce n’est pas la secte qui avait innové, mais tout avait changé autour d’elle, doctrines, culte et mœurs. Pendant que cette population oubliée continuait de s’abreuver aux sources primitives de la foi, l’église générale s’était renouvelée. A l’humble congrégation fondée par les disciples de Jésus, méprisée,

  1. Dell’Introduzione degli heretici nelle valli di Piemonte.
  2. Hieron., adv. Vigilantium.