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trésor. La seule distribution des gratifications militaires absorbait environ 100,000 dollars par jour, et le ministre des finances était obligé de demander une suspension provisoire des paiemens, le trésor n’y suffisant plus. La conséquence de tout ce gaspillage était facile à deviner : la dette, qui avait diminué l’année précédente, était redevenue stationnaire, et, si le désordre continuait, elle ne tarderait point à grossir.

En même temps les rentrées baissaient d’une manière effrayante malgré l’établissement de plusieurs taxes nouvelles et les avances faites au trésor sur l’impôt du revenu. Tant que la guerre avait duré, le congrès, pressé d’argent, avait frappé à tort et à travers toutes les matières imposables, et l’urgence avait fait accepter sans discussion des taxes exorbitantes, absurdes ou funestes. D’ailleurs le zèle des citoyens n’avait pas marchandé les subsides, et les impôts les plus onéreux avaient été perçus avec une aisance et une régularité sans exemple. Maintenant la nation appauvrie se refusait à subir des charges dont elle ne concevait plus l’utilité ; la moitié des citoyens fraudait le trésor public. Le congrès ne savait y remédier qu’en votant des impositions nouvelles qui paralysaient le travail et tarissaient les revenus. Le commerce languissait, l’industrie continuait à dépérir, et la misère, ce visiteur si longtemps inconnu dans le Nouveau-Monde, commençait à y devenir l’hôte assidu des grandes villes et le mauvais conseiller des passions populaires.

On s’en prenait de tous ces maux à l’aveuglement du congrès. Des deux partis économiques qui de temps immémorial ont divisé les États-Unis, la majorité républicaine s’était alliée de préférence à celui qui conseillait l’établissement des impôts les plus onéreux. Elle était entièrement livrée à l’influence tyrannique de cette ancienne école prohibitive qui dominait dans les états du nord, et qui avait prêté pendant la guerre un secours si puissant à la cause de l’Union. Ces protectionistes à outrance se croyaient les vainqueurs du jour : ils n’avaient vu dans l’abaissement du sud que le triomphe particulier de leurs doctrines, et ils gouvernaient le congrès avec une arrogance que la majorité républicaine tolérait par habitude ou par intérêt plutôt que par conviction. On s’occupait justement de rédiger les articles d’une loi générale sur les tarifs, et les manufacturiers, assiégeant les abords des chambres, avaient employé tour à tour la corruption ou la menace. Les taxes qui furent votées dépassaient tout ce qu’on avait vu jusqu’alors ; les droits d’entrée sur les marchandises étrangères furent élevés en général à 90 et à 100 pour 100 ; le droit d’importation sur le sel fut même poussé jusqu’au taux exorbitant de 225 pour 100, au seul effet de protéger quelques salines de l’état de New-York et de l’état du Michigan. On comprend que la masse des consommateurs, qui formaient en