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étranglait les gouvernemens rebelles, et parce qu’il posait la baïonnette sur le cœur de chacun des rebelles… » Les amendemens du sénat furent repoussés par un vote où les démocrates s’unirent aux radicaux contre les républicains modérés, dans l’espérance bientôt déçue de faire échouer l’ensemble du bill. Après quelques pourparlers avec le sénat, les amendemens furent repris avec l’addition d’une clause nouvelle qui réglait l’établissement dans chacun des états du sud d’un gouvernement provisoire fondé sous les auspices de l’autorité militaire, et rassurait les radicaux contre la suprématie des rebelles en excluant ces derniers des élections. C’est sous cette forme définitive que le bill fut voté, le 20 février, par les deux chambres, et envoyé à la Maison-Blanche pour y subir le veto du président.

Celui-ci du reste n’avait ni l’intention ni la force de faire une résistance sérieuse. La clause qui lui confiait la nomination des commandans militaires l’avait singulièrement réconcilié avec la loi ; ses conseillers intimes lui recommandaient de se servir de ce pouvoir pour combattre les républicains avec leurs propres armes. Le sénateur démocrate Reverdy Johnson avait même voté pour le bill, au grand étonnement de ses amis et à la grande joie de ses adversaires, qui l’en avaient chaudement félicité. Il conseillait au président de ne protester que pour la forme et de n’envoyer aux chambres qu’un veto insignifiant, afin de ne pas les irriter davantage et de ne pas attirer les foudres de l’accusation toujours suspendue sur sa tête. Beaucoup de démocrates prenaient assez facilement leur parti de la loi nouvelle, et avouaient sincèrement qu’avec tous ses défauts elle avait aussi de grands mérites. On ne pouvait du moins lui contester celui de mettre un terme à ces incertitudes fatigantes qui trop longtemps avaient agité l’opinion publique et tourmenté inutilement la patience des états du sud. Tel était le besoin du repos et le dégoût des querelles stériles où s’était consumée l’année entière, qu’on était prêt à applaudir à un arrangement quelconque, pourvu qu’il assurât la tranquillité générale et qu’il fît cesser toute indécision.

Les populations du sud apprirent sans beaucoup de chagrin le succès de la loi militaire. Depuis longtemps, elles s’attendaient aux mesures les plus cruelles, et elles furent presque surprises de la trouver aussi douce. Sans doute il ne leur restait aucune espérance trompeuse, aucune illusion sur leur avenir ; elles ne pouvaient plus compter dorénavant ni sur le retour de leurs anciens privilèges, ni même sur le maintien de l’inégalité des deux races, mais cette pénible certitude devait elle-même leur être profitable. Les hommes du sud allaient donc enfin savoir à quoi s’en tenir ; ils allaient être délivrés et des embarras de ce double gouvernement qui faisait leur