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seul moyen de manger était de vendre ou d’hypothéquer leurs domaines, qui, dans l’état précaire de leur pays, ne trouvaient plus de chalands à aucun prix. Les impôts dévoraient leurs dernières ressources et ne rapportaient pas au trésor ce qu’ils coûtaient à recueillir. Le nord avait déjà envoyé de grosses sommes à distribuer en aumônes, mais elles étaient bien loin de suffire, et on les avait consacrées presque tout entières au soulagement des hommes de couleur. Le général Howard, directeur du bureau des affranchis, radical de la vieille roche et dont la parole n’était pas suspecte, rapportait qu’il y avait dans le sud 33,000 blancs et 24,000 noirs qui avaient besoin de pain. Il racontait au sénat qu’il avait vu de ses yeux des hommes et des femmes mourir de faim au bord des routes, et il lui demandait avec instance un secours indispensable de 1,500,000 dollars. Le sénat consentit à lui en donner les deux tiers ; mais dans la chambre les nouveaux membres radicaux s’y opposèrent avec fureur : ils déclarèrent que les souffrances du sud étaient les représailles légitimes des souffrances endurées par les prisonniers fédéraux. Le général Butler, toujours facétieux et cruel, proposa un amendement ironique pour demander que le million fût distribué aux veuves et aux enfans des soldats morts dans les prisons du sud. Le général Logan hurla qu’on devait laisser mourir les hommes du sud. « Puisqu’il le faut, s’écria M. Williams, de l’Indiana, sur un ton pathétique, puisqu’il le faut, laissez Dieu tout-puissant peupler les états du sud de populations qui aimeront notre drapeau ! » Le million fut voté pourtant, grâce à un appel touchant de M. Bingham, mais avec mauvaise humeur. Aussitôt des souscriptions s’ouvrirent à New-York, à Boston, à Baltimore. Le pays tenait à prouver qu’il ne partageait pas la dureté du congrès.

On ne pouvait choisir un plus mauvais moment pour réveiller les passions des états rebelles. Les généraux nommés au commandement des cinq grandes divisions militaires venaient justement de partir pour leurs provinces avec les pouvoirs du président. Ils pouvaient voir de leurs yeux que le général Howard n’avait pas exagéré les souffrances dont il était le témoin. A tous les maux qu’il avait décrits s’ajoutait la discorde que les craintes et les espérances récentes de la confiscation prédite par les radicaux venaient encore de ranimer entre les deux races. On savait que Thaddeus Stevens avait écrit un manifeste pour recommander une mesure de spoliation générale, et désavouer la promesse faite aux états du sud de leur rendre la représentation dans le congrès, s’ils obtempéraient d’eux-mêmes au décret de reconstruction. On savait que la société anti-esclavagiste avait voté dans son meeting anniversaire des résolutions toutes pleines de l’esprit impitoyable de Wendell Phillips,