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listes, car la question de savoir s’ils étaient sincères ne pouvait être tranchée que par la justice.

Cette déclaration était fort bien conçue et en somme conforme à la loi ; elle corrigeait ce que le bill militaire avait de trop rigoureux. Dans plusieurs états où les listes étaient déjà formées de la manière la plus exclusive, elle permettait de les rouvrir et d’y introduire toute une classe d’électeurs nouveaux qui peut-être balanceraient cette formidable majorité noire inféodée d’avance à un radicalisme ardent. C’était aussi le seul moyen d’encourager la classe nombreuse qui désirait sortir de sa réserve, abdiquer tout ressouvenir hostile et prendre loyalement part à la fondation de l’ordre nouveau. Avant tout, il fallait que l’interprétation nouvelle fût observée par les cinq généraux gouverneurs ; mais, malgré la notification formelle que le président leur en avait faite, ils ne semblaient pas disposés à la recevoir docilement. Le général Sheridan surtout, qui commandait à la Nouvelle-Orléans, venait de former des listes conformes à la loi de reconstruction spéciale à la Louisiane, listes tellement restreintes que dans plusieurs paroisses on comptait à peine un électeur blanc pour quatre noirs. Il avait annoncé qu’elles seraient irrévocablement closes dans le courant de juin. Le président lui envoya l’ordre de prolonger le délai jusqu’au 1er août ; le général répondit sèchement que les listes seraient fermées au plus tard à la fin du mois. Le président, très irrité, ne cherchait plus qu’un prétexte pour porter un nouveau coup à une institution qui lui devenait chaque jour plus odieuse. Il en voulait surtout à Sheridan. Le jeune général avait administré la Louisiane avec intelligence et fermeté, mais il avait usé largement des pouvoirs extraordinaires qu’il tenait du congrès. Il avait démoli et reconstruit plusieurs fois toute la machine du gouvernement. Il avait destitué le gouverneur Welles, cassé des juges, dissous des assemblées. On lui reprochait ses façons cavalières et son isolement de tous les partis. On accusait aussi les autres généraux : Griffîn d’avoir congédié la police de Galveston et de l’avoir reformée avec les nègres du Texas, — Sickles d’avoir enjoint à tous les fonctionnaires et magistrats de la Caroline du nord de se soumettre aux décisions de ses prévôts militaires, d’avoir substitué à la législation du pays tout un recueil d’ordonnances de sa façon, — Swayne d’avoir déposé le maire et la municipalité de Mobile pour donner leur place à des noirs, qui d’ailleurs avaient eu le bon sens de la refuser pour eux-mêmes et de lui désigner des magistrats à peau blanche. Ces accusations, futiles ou sérieuses, fournirent à M. Johnson l’occasion qu’il cherchait. Après un conseil de cabinet et malgré l’opposition du ministre de la guerre Stanton, l’attorney-general lança un nouveau manifeste où il refusait aux généraux le