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députations au président Lincoln, qui lui avait adressé des paroles amicalement sévères sur la folie qu’il y avait à regarder le travail comme une tyrannie et le salaire comme une humiliation. Elle avait trouvé meilleur accueil auprès de son successeur moins scrupuleux. Dans un discours prononcé en 1866 devant les ouvriers de Baltimore, M. Johnson les avait publiquement encouragés, et leur avait donné le conseil de former une association générale de tous les ouvriers de l’Amérique pour dicter des lois aux patrons. Ce conseil avait fructifié. Cette année, des grèves nombreuses sévirent dans toutes les provinces à la fois. A Chicago, des bandes armées de bâtons coururent d’usine en usine, menaçant maîtres et ouvriers. A Saint-Louis, dans un meeting de 6,000 personnes, des résolutions furent votées pour dénoncer les patrons comme traîtres et ennemis des pauvres. En Pensylvanie, les mineurs tuèrent les employés des compagnies qui résistaient à leurs demandes. Les politiciens avides de popularité se mirent comme toujours à la remorque des excès populaires. Celui-ci s’écriait « qu’il combattrait le capital avec son cœur et son âme, » celui-là que « le capital et le travail devaient être ennemis, » cet autre « que le capital ne devait plus être centralisé dans un petit nombre de mains. » M. Johnson enfin envoyait aux ouvriers « son adhésion la plus chaleureuse à tous leurs efforts. »

Toutes ces manœuvres eurent le résultat qu’on en devait attendre. Les hommes modérés dont le crédit s’était relevé depuis quelques mois cédèrent de nouveau la place aux hommes d’avant-garde, aux copperheads et aux radicaux noirs. L’impeachment, abandonné récemment par le comité de la chambre, redevint le point de mire des républicains. Le congrès allait se réunir en juillet pour en décider ; ses chefs écrivaient dans toutes les provinces pour stimuler le zèle de tous leurs collègues indécis. Ils annonçaient des mesures vigoureuses qui ne laisseraient plus aucune indécision possible, et forceraient le président à capituler.

Le 3 juillet, cette assemblée vengeresse rentra au Capitole ; elle était en nombre pour délibérer. On vit entrer le vieux Thaddeus Stevens plus faible et plus cassé que jamais, — autour de lui MM. Schenck, Logan, Ashley, Butler, et tout l’état-major éloquent du parti républicain, — en face M. Brooks, qui allait prendre la conduite de la petite phalange démocratique, réduite à une trentaine de voix. La nouvelle députation du Kentucky, composée uniquement de démocrates, ne fut pas admise sans difficulté. On élut immédiatement un nouveau comité de reconstruction dont M. Stevens fut le président. En trois jours, le bill fut préparé, et M. Stevens en donna lecture. Ce bill confirmait sommairement toutes les mesures prises par les radicaux et jugées illégales par le président. Il comprenait cinq clauses principales. La première annulait les