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tentative ; cette fois Napoléon se laissa joindre. Caprara allait parler : « Mon Dieu, cardinal, que vous sentez les clubs de Rome ! » Et cela dit, derechef il lui tourna le dos.

On aurait peine à comprendre cette indifférence soudaine de l’empereur et la mauvaise humeur dont elle était accompagnée, si l’on ne savait à quel point sa pensée était alors distraite de sa querelle avec le pape et tournée vers d’autres sujets. La France était maintenant à la veille d’entrer en guerre avec la Prusse. C’était même, à vrai dire, en prévision de la lutte redoutable qui allait éclater dans le nord de l’Europe que Napoléon avait mis tant d’ardeur à vouloir fortifier sa situation en Italie et la rendre à peu près inexpugnable. Pour se garantir autant que possible des diversions que la Russie et l’Angleterre pouvaient tenter d’opérer sur ses derrières pendant qu’il manœuvrerait au centre de l’Allemagne, il lui fallait être maître du centre ainsi que du nord et du midi de la péninsule italienne. Cette préoccupation toute stratégique avait été la raison profonde de son redoublement de menaces à l’égard du souverain pontife ; car d’animosité contre Pie VII, il n’en avait aucune. Il ne trouvait nul plaisir à le persécuter. En cette occasion comme en tant d’autres, quoique les moyens employés fussent singulièrement déplaisans, presque odieux, il n’entrait pas de noirceur préméditée dans la conduite de l’empereur. Ce n’était point par méchanceté personnelle ou par suite de mesquines considérations qu’il avait recouru à des procédés aussi violens. La politique, une politique d’ambition gigantesque, fougueuse et déréglée, lui imposait des actes dont l’injustice lui paraissait parfaitement légitimée par la seule nécessité. En agissant ainsi, il avait espéré faire céder Pie VII assez à temps pour jouir, à l’ouverture des prochaines hostilités, du bénéfice de son alliance. Les menaces n’ayant pas suffi, l’empereur s’en trouvait un peu mortifié et profondément aigri ; mais il était encore trop maître de lui-même à cette époque de sa carrière et resté trop judicieux pour se mettre sur les bras tant de besognes à la fois, quoiqu’elles fussent, il faut le reconnaître, d’une difficulté d’exécution bien inégale. Tout prêt à conduire en personne une grande expédition contre la Prusse, assistée probablement de la Russie, certainement de l’Angleterre, toutes trois puissances schismatiques ou protestantes, il ne lui convenait pas d’aller risquer une aventure à la fois compromettante et peu glorieuse contre un souverain très faible assurément, mais qu’entouraient les sympathies secrètes de toutes les puissances catholiques. Il valait mieux patienter. Aussi bien cette fois encore le sort du pape et de ses états se déciderait comme l’année précédente dans les plaines de l’Allemagne. Austerlitz lui avait coûté Ancône et