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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/713

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qu’il le culbutera, et qu’il le fera disparaître presque instantanément sous sa quille en lui passant sur le corps[1]. Au combat de Lissa, le Re-d’Italia s’inclina violemment sous le choc du Ferdinand-Max ; malgré une vitesse de 10 à 11 nœuds, la frégate autrichienne fut brusquement arrêtée, mais en se retirant elle laissa béante dans le flanc de son adversaire une blessure de 15 mètres carrés environ : les deux navires avaient des masses à peu de chose près comparables[2]. Le Taureau, enfonçant son éperon dans le flanc du Solferino, y produirait des dégâts moins foudroyans, mais tout aussi désastreux. Il est probable que la blessure du Solferino serait assez profonde pour qu’il fût impossible d’y porter remède. Finalement le résultat serait le même.

Si un navire de dimensions relativement petites peut couler le plus gros adversaire, c’est à d’autres points de vue un outil de combat beaucoup plus commode que les gros bâtimens. Il est plus maniable et plus manœuvrant, il présente aux projectiles de l’ennemi un but plus difficile à atteindre ; il est moins exposé au grand danger des feux courbes, et il permettrait à nos ingénieurs de résoudre plus facilement le problème des deux hélices indépendantes, sans lesquelles des navires destinés à jouer le rôle de béliers ne pourront jamais acquérir les qualités giratoires qui, après une vitesse supérieure, constitueront désormais leur force principale. Le prix de revient des bâtimens diminuant rapidement avec les dimensions, il nous serait possible d’en construire un plus grand nombre, ce qui n’est pas sans importance, pour une nation, comme la nôtre, qui ne peut pas consacrer à sa flotte des sommes aussi considérables que l’Angleterre ; aujourd’hui plus que jamais, la force d’une escadre se mesurera bien plus d’après le nombre de ses bâtimens ou de ses éperons que par celui de ses hommes ou de ses bouches à feu. Cette réduction du prix de revient nous permettrait d’engager un plus grand nombre de navires au jour du combat, en sorte que, si l’un d’eux était coulé dans le courant de l’action par la faute de son capitaine ou par les efforts de plusieurs navires ennemis réunis contre un seul, la perte aurait une importance bien moindre sur l’issue de la bataille. Le bâtiment à deux hélices aura la faculté de pouvoir encore se diriger, s’il vient à perdre son gouvernail, et si une de ses machines est désemparée par les projectiles de l’ennemi ou par un accident quelconque, il pourra encore avec l’autre prendre une part honorable à la lutte, ou sortir de la mêlée, s’il n’est plus en état de la soutenir.

  1. Le Solferino déplace 6,800 tonneaux environ, la Thétis 3,400 tonneaux, le Taureau 2,000 tonneaux.
  2. Voyez, dans la Revue du 15 novembre 1866, le récit du combat de Lissa.