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Si les greffes des présidiaux et des justices seigneuriales avaient conservé les minutes des jugemens rendus par le grand-prévôt après la répression de l’insurrection en Cornouailles, ou plutôt si M. de La Pinelaie et M. de La Perrine, son lieutenant, avaient pris la peine de rédiger leurs nombreuses sentences de mort avant d’envoyer les condamnés à la potence, nous aurions sur les attentats commis par les compagnons du torrében des détails pleins d’intérêt ; mais ces détails manquent absolument, et c’est à la tradition seule qu’il faut s’en rapporter. Je me trouve en mesure, en puisant à cette source, de joindre aux faits nombreux recueillis par M. de La Borderie un épisode qui établit l’authenticité du code paysan dans l’un de ses articles les plus invraisemblables, celui qui désigne la gabelle comme une personne vivante.

Les bonnets bleus[1] des quatorze paroisses liguées, après avoir vainement tenté de pénétrer dans Quimper, ville fermée, se ruèrent sur les demeures des gentilshommes, qui de tous les points du littoral étaient venus s’enfermer dans les murs de cette place. Un vieillard impotent, M. Eusenou de Kersalaün, aimé et universellement respecté jusqu’alors, mais dont les fils combattaient dans l’armée du roi auprès du marquis de Lacoste, était demeuré à peu près seul en son manoir du Cosquer, situé dans la commune de Combrit, au centre même du territoire de l’union armorique. Aucune fortification ne protégeait cette demeure seigneuriale, dont les portes, attaquées par une bande de torrében, cédèrent à peu près sans résistance. Les torrében pénétrèrent dans la grande salle du château, où M. de Kersalaün attendit et reçut la mort dans son fauteuil. Il y

  1. Cette particularité du costume des paysans insurgés était connue dès le mois de juillet à Paris, d’où Mme de Sévigné l’indique à sa fille. « On dit qu’il y a cinq ou six cents bonnets bleus en Basse-Bretagne qui auraient grand besoin d’être pendus pour leur apprendre à parler. » Lettre du 3 juillet 1675. »