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remarquer : M. Lenobletz acheva, vers la fin du XVIe siècle, l’œuvre d’évangélisation commencée par les Pol et les Corentin, en continuant contre une superstitieuse ignorance les combats engagés contre l’idolâtrie par les fondateurs des premières églises bretonnes. Il usa sa vie à déraciner les restes latens du druidisme, allant de rocher en rocher et d’écueil en écueil, passant et repassant de l’île d’Ouessant dans l’île de Molènes, de Molènes dans l’île de Sein, vieux sanctuaires d’un culte dont les traces n’avaient pas plus disparu que les autels[1]. Le successeur que Lenobletz s’était choisi reçut une mission plus belle encore. Le père Maunoir pansa d’une main pieuse les profondes blessures infligées à ces populations par les guerres de la ligue et le long brigandage dont elles furent suivies. La nationalité armoricaine ne s’est pas incarnée dans un type plus élevé. Julien Maunoir est le prêtre breton par excellence. entre fort jeune dans la compagnie de Jésus, il se préparait aux missions d’Amérique lorsqu’il se crut averti par une révélation d’avoir à consacrer l’inépuisable charité qu’il était à la veille d’aller dépenser dans les forêts du Canada aux malheureuses populations maritimes rançonnées par les brigands et surtout par ce Fontenelle dont nous avons raconté les déprédations à l’époque de la ligue. Il fonda donc une société de prêtres missionnaires et une école originale de prédication qui, depuis deux siècles, n’a rien perdu de sa puissance populaire et de son irrésistible efficacité. Parlant aux sens en même temps qu’à l’âme, il traduisit en drames et en tableaux vivans les plus hauts mystères de la foi, donnant à ses enseignemens religieux le caractère d’une sorte de démonstration empirique, sans en effleurer d’ailleurs l’austère spiritualité.

Une mission prêchée dans une paroisse bretonne d’après la tradition du père Maunoir est, même de nos jours, un spectacle saisissant. Ces exercices, prolongés quelquefois durant plusieurs semaines, font passer en effet des populations entières par l’alternative de toutes les angoisses et de toutes les espérances chrétiennes, selon que la foi déroule devant elles l’horizon de ses menaces ou celui de ses promesses. C’est avec un indescriptible étonnement que le voyageur étranger à cette nationalité singulière voit la longue spirale des divines miséricordes et des châtimens infernaux se dérouler en une série de naïves peintures commentées par une ardente parole que vient interrompre le chœur populaire des cantiques et souvent le chœur des sanglots.

Annoncer une mission, y convier plusieurs paroisses, c’était opérer la plus puissante diversion au sein des populations rurales sur le point de se soulever comme par une sorte de contagion. Le père

  1. Vie de M. Lenobletz, par le père Verjus, t. Ier, p. 146. et suiv.