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geant la nature expérimentale et spéciale des problèmes du physiologiste, nous verrons qu’on peut arriver au contraire à une distinction réelle et féconde.

Cuvier a donné à la science de l’organisation des êtres vivans une impulsion puissante, qui a été utile à la fois à la zoologie et à la physiologie générale ; mais Cuvier ne concevait pas la physiologie comme devant être une science expérimentalement constituée, ou plutôt il n’avait pas d’idée arrêtée à ce sujet, car tantôt on le voit nier la physiologie expérimentale en contestant la légitimité des applications de la méthode expérimentale à l’étude des phénomènes de la vie[1], tantôt on le voit admettre et louer dans des rapports académiques les résultats de la physiologie expérimentale obtenus à l’aide de la vivisection[2]. Cuvier avait bien senti qu’il était important d’introduire les considérations physiologiques dans la zoologie ; mais il n’était pas physiologiste, il était naturaliste et surtout anatomiste, et ne voyait dans la physiologie que des déductions anatomiques particulières dont il cherchait la confirmation dans l’anatomie comparée. Sans doute les connaissances anatomiques les plus précises sont indispensables au physiologiste, mais je ne crois pas pour cela avec les anatomistes que l’anatomie doive servir de base exclusive à la physiologie, et que cette dernière science puisse jamais se déduire directement de la première[3]. Je pense au contraire que c’est une erreur ou une illusion de toutes les écoles anatomiques d’avoir cru que l’anatomie expliquait directement la physiologie.

L’impuissance de l’anatomie à nous apprendre les fonctions organiques devient surtout évidente dans les cas particuliers où elle est réduite à elle-même. Pour les organes sur les usages desquels la physiologie expérimentale n’a encore rien dit, l’anatomie reste absolument muette. C’est ce qui a lieu par exemple pour la rate, les capsules surrénales, le corps thyroïde, etc., tous organes dont nous connaissons parfaitement la texture anatomique, mais dont nous ignorons complètement les fonctions. De même, quand sur un animal on découvre un tissu nouveau et sans analogue dans d’autres organismes, l’anatomie est incapable d’en dévoiler les propriétés vitales. Cela prouve donc bien clairement que, lorsque l’anatomiste ou le zoologiste construit ce qu’on appelle la physiologie

  1. Voyez Lettre à Mertrud et Introduction au règne animal.
  2. Voyez le rapport fait à l’Académie des Sciences sur des expériences relatives aux fonctions du système nerveux, par M. le baron Cuvier. — Journal de Physiologie, par Magendie, t. II, p. 372, 1822.
  3. Voyez mes Leçons de Physiologie appliquée à la médecine faites au Collège de France, 1855, première leçon.