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pour produire la liberté comme un métier produit un tissu ? Non, sans doute ; cela signifie seulement que, parvenus à un degré de culture analogue, modifiés par une solidarité d’affaires et une influence réciproque qui atténuent de plus en plus les diversités nationales, ayant des intérêts de même nature à protéger, les peuples ont besoin des mêmes sécurités ; il faut qu’ils puissent contrôler leurs gouvernemens, et ce contrôle ne saurait s’exercer dans nos grandes sociétés que par des procédés fort semblables. Les originalités de tempérament et d’esprit persisteront néanmoins dans le gouvernement comme ailleurs, les différens peuples continueront à présenter dans la pratique et les moyens de la liberté des nuances particulières et des degrés divers ; mais ils ne seront plus que les variétés d’un même type, qui est celui de la société libre moderne. Des faits éclatans dominent déjà toutes les différences ; les lumières se généralisent, l’esprit d’égalité juridique se répand ; on voit partout un nombre d’hommes chaque jour croissant s’intéresser aux affaires publiques et se faire admettre à y participer ; partout on voit les minorités les plus jalouses ouvrir leurs rangs ; des forces que rien ne peut contenir conspirent à installer la démocratie dans le monde. C’est la révolution française qui la première en a proclamé l’avènement sur le continent, et à la vue de son rêve en train de se réaliser peu à peu il n’est point permis de ne voir en elle qu’une entreprise avortée et de la ranger dès à présent dans l’histoire funèbre des échecs de la raison.


III

Je ne voudrais pas que le lecteur eût la pensée d’attribuer la longueur de cette discussion à un parti pris de chicaner un écrivain de talent ; je cherche sur quelle question importante je pourrais me trouver d’accord avec lui. Malheureusement le point de vue auquel il s’est placé fausse à ses yeux toutes les perspectives, et, de même qu’il lui a fait méconnaître le génie et le sens même de la révolution française, il l’induit sur les actes fondamentaux de cette révolution en des jugemens auxquels ne saurait souscrire quiconque n’ignore pas absolument l’histoire de ce temps. Jamais l’esprit de système n’eut un effet plus fâcheux et ne stérilisa au même degré les efforts d’une curiosité patiente dont il y avait lieu d’attendre quelque chose. Il a fallu, par exemple, toute l’illusion d’un esprit préoccupé pour conduire l’historien à cette conclusion étonnante, que la révolution française a créé en Europe l’état militaire. M. de Sybel ne se contente pas de dire, il faut bien le remarquer, qu’à force de fatiguer le pays de luttes civiles la révolution a fini