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épargner ceux qu’elles frappent, séparer le fait du droit et la justice de ses formes, en un mot chercher leurs motifs et leurs règles dans l’intérêt suprême du salut de l’état, dont alors ils sont uniquement responsables, c’est ce qu’on ne peut nier après avoir lu l’histoire et assisté à la plus terrible de ses leçons, à moins qu’on ne prétende d’une manière générale et absolue qu’il est prescrit aux nations de descendre au tombeau plutôt que de s’écarter un seul instant d’aucun des principes, d’aucune des formes établies dans d’autres temps et pour un autre but. » Ces paroles de M. Royer-Collard, si graves qu’elles soient, peuvent ne pas convaincre quiconque craint par-dessus tout d’ouvrir à la société la carrière des sanglantes aventures ; mais, M. de Sybel fût-il de ceux-là, rien ne l’autorisait à donner pour l’exécution d’un système général et permanent des mesures de salut public. Rien ne l’autorisait non plus à chercher la vraie pensée de la révolution dans des discours dictés par la passion ou le délire ; lorsqu’il trouvait le principe de la propriété inscrit et proclamé dans la constitution girondine et même dans celle de la montagne, rien ne l’autorisait à exhumer, pour en trouver la négation, quelques discours d’énergumènes, et à présenter quelque absurde théorie éclose dans l’atmosphère malfaisante de la commune ou des cordeliers comme la seule expression vraie des idées de la révolution, voulue et accomplie par la France. Étrange méthode, il faut bien le dire, que celle qui conduirait à chercher le véritable esprit de la réforme dans les folies des anabaptistes, celui de la révolution d’Angleterre dans la doctrine des niveleurs, celui de la démocratie florentine dans le programme des ciompi ou dans les idées de Campanella !

L’esprit de la révolution, les idées qui lui ont servi de point de départ, qui l’ont le plus souvent dirigée dans son cours et qui constituent ce qu’elle a laissé de permanent et de durable, ces idées, expression d’un idéal de justice que le monde n’avait point connu, sont, il faut l’affirmer hautement, les seuls principes conservateurs des sociétés modernes. Si l’on consulte les vrais organes de la révolution au lieu de s’attacher à des aberrations qui n’ont manqué en aucun temps, on avouera que pas un des principes constitutifs du droit et de la société, ni la propriété, ni la liberté des transactions, ni l’inviolabilité des croyances, ne fut jamais sérieusement mis en question. M. de Sybel a raison de dire que les révolutions politiques dans le sens étroit du mot ne sont jamais l’œuvre et le vœu que d’un petit nombre ; les couches inférieures du peuple, dont l’explosion prête aux révolutions leur force volcanique, ne se soulèvent que par l’action de moteurs plus puissans et plus simples ; il n’y a pas eu de grande révolution qui n’ait été une révolution