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divagué, après avoir usé et abusé de toutes les figures oratoires, après avoir débité force gros mots, Goetze avait fait un retour salutaire sur lui-même, il avait eu un éclair de bon sens, ce qui lui arrivait quelquefois. « M. Lessing, avait-il dit, me reproche de battre la campagne, de m’écarter de la question. Je veux lui faire plaisir ; je vais lui serrer le bouton. De quoi disputons-nous ? Il affirme que la religion peut subsister sans la Bible. Il n’est que de s’entendre. Peut-être a-t-il raison ; peut-être y a-t-il une religion qui ne laisserait pas de subsister quand il serait prouvé que les écrivains sacrés furent des imposteurs. Cette religion est celle de M. Lessing. Qu’il s’explique ! qu’il daigne m’apprendre quel est son credo, car enfin je suis las de ne savoir à qui j’ai affaire. Je romps des lances avec un chevalier masqué qui refuse de me décliner son nom. Qui donc ai-je devant moi ? Un chrétien, un sectateur de la religion naturelle, un déiste ou un païen ? Il est vraiment bien temps que je m’en informe. Il se pourrait faire que M. Lessing prît un malin plaisir à me voir m’escrimer et battre l’eau, et qu’un matin, quand je serai rendu, essoufflé, il me vînt dire, ôtant son masque et me régalant de son sourire le plus agréable : Mon cher monsieur, quand je vous soutiens que la religion peut subsister sans la Bible, c’est de la religion naturelle que j’entends parler ; je n’en connais pas d’autre. Vous voyez que j’ai raison ; mais, comme rien ne m’oblige à parler une autre langue que la mienne, je suis bien libre, ce me semble, d’appeler à mon gré cette religion, qui est la mienne, ou la religion naturelle, ou la religion chrétienne, ou la religion luthérienne. Que M. Lessing se tienne pour averti ! Je suis déterminé à garder le silence jusqu’à ce qu’il m’ait déclaré explicitement quelle religion il entend par le mot de religion chrétienne, et quelle religion lui-même regarde et admet comme vraie. »

On voit que Goetze posait à Lessing deux questions. A la seconde, Lessing ne répond rien, et pour cause. A la première, il oppose une réplique foudroyante à laquelle Goetze ne s’attendait pas, et qui le mit hors de combat. « Par la religion chrétienne, répond-il, j’entends toutes les confessions de foi qui sont contenues dans la collection des symboles des quatre premiers siècles de l’église chrétienne, en y comprenant, si l’on veut, le soi-disant symbole des apôtres et le symbole d’Athanase, bien qu’ils n’en fassent pas partie. Le contenu de ces confessions de foi s’appelle dans les premiers pères la regula fidei, la règle de foi. Cette règle de foi n’est pas tirée des écrits du Nouveau Testament. Cette règle de foi existait avant qu’existât un seul livre du Nouveau Testament. Cette règle de foi a pleinement suffi non-seulement aux premiers chrétiens du vivant des apôtres, mais à leurs descendans des quatre premiers