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métaphysique, à l’incertitude des premiers principes, à l’évidence de la seule morale. Le XVIIIe siècle n’a été ni dogmatique ni pyrrhonien ; ses philosophes ont jugé de tout par les résultats ; ils n’ont tenu pour certain, les uns que le devoir, les autres que l’utile ; point d’autres spéculations que celles du bon sens se servant du raisonnement comme d’une lunette pour voir plus loin, et soumettant toujours ses découvertes au contrôle de l’expérience. Lessing aurait signé des deux mains ces lignes de Voltaire : « Le petit nombre des sages est toujours parvenu à détruire les châteaux enchantés, mais jamais à pouvoir en bâtir un logeable. On voit par sa raison ce qui n’est pas, on ne voit pas ce qui est. Dans ce conflit éternel de témérités et d’ignorances, le monde est toujours allé comme il va ; les pauvres ont travaillé, les riches ont joui, les puissans ont gouverné, les philosophes ont argumenté, pendant que des ignorans se partageaient la terre. »

Sur quoi roule cette fameuse conversation dont Jacobi s’est fait, j’en suis certain, le fidèle rapporteur ? Il n’y est point question des théories métaphysiques de Spinoza, ni de la définition de la substance, ni de la natura naturans. Lessing et Jacobi n’agitent entre eux que le problème de la liberté humaine et de l’action de Dieu sur l’âme. « Je vois, dit Lessing à son interlocuteur, que vous tenez beaucoup à ce que votre volonté soit libre. C’est une liberté dont je me passe. » Et plus loin : « Vous vous exprimez comme la diète d’Augsbourg (qui condamna Luther). Quant à moi, je suis un bon luthérien ; je me tiens attaché à cette doctrine qualifiée de blasphème et d’erreur plus bestiale qu’humaine, à savoir qu’il n’y a point de volonté libre, doctrine dont s’est accommodé le cerveau lucide de Spinoza. » Luther, comme Calvin, avait nié le libre arbitre, et c’est apparemment l’une des raisons qu’avait Lessing de préférer le luthéranisme conséquent à l’orthodoxie mitigée ; mais, comme on peut croire, ce n’est pas en luthérien qu’il raisonne avec Jacobi. Il se déclare déterministe, c’est-à-dire partisan de cette doctrine qui admet l’influence irrésistible des motifs, et qui professe que nos volontés comme nos idées ne nous appartiennent pas. Nous ne pouvons douter que ce ne fût là son véritable sentiment. Il avait publié quelques remarques sur les essais philosophiques d’un déterministe déclaré, son ami Jérusalem ; il y donnait son approbation au système, qui, disait-il, a été décrié pour ses conséquences dangereuses et le serait moins, si on les considérait sous leur vrai jour. « Que perdons-nous quand on nous refuse la liberté ? Quelque chose (si tant est que ce soit quelque chose) dont nous n’avons pas besoin ni pour être actifs ici-bas, ni pour être heureux au-delà du tombeau… Que l’idée du bien agisse sur moi comme