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perfection infinie des choses n’en est que le perfectionnement indéfini, la règle divine de l’univers est le progrès. Voilà le grand mot que Lessing a prononcé le premier et auquel son nom demeure attaché. Deux ans après sa campagne contre les théologiens, et peu de temps avant sa mort, il publia son Éducation du genre humain, dont il avait déjà fait connaître quelques passages, petit écrit riche de pensées, gros de conséquences. Voltaire n’avait compris que la ligne droite, et sa pensée rapide s’indignait des lenteurs de l’histoire. « O Providence éternelle, s’écrie Lessing ! poursuis ta marche insensible ! Je ne douterai point de toi alors même que je croirai te voir reculer. Il est faux que la ligne droite soit toujours la plus courte. Dans ta route infinie, tu as tant de voyageurs à recueillir en chemin, tant de pointes à faire à droite et à gauche ! » Lessing accorde du temps au gouvernement du monde. L’histoire est l’éducation du genre humain ; une éducation ne se peut faire que lentement, par degrés ; plus elle est lente et prudemment conduite, plus le résultat en est sûr. Son dernier livre, qui résume sous un petit format et dans le style familier d’un manuel la matière d’un long traité, pourrait être appelé le catéchisme de l’espérance.

Si Lessing croit à l’histoire et au règne de la raison dans l’univers, que fera-t-il des religions ? Il sait la place qu’elles tiennent dans le passé, et il n’est pas bien certain qu’elles soient à la veille de mourir. — « Eh quoi ! s’écrie-t-il, rien dans ce meilleur des mondes ne mériterait d’exciter nos dédains et notre courroux, rien hormis les religions ? Dieu serait pour quelque chose dans tout ce qui arrive, et il ne serait pour rien dans nos erreurs ? » Il se refuse à ne voir dans les annales des cultes que des impostures couronnées de succès, à tout expliquer par l’habileté des fripons, par l’imbécillité des dupes ; mais ce problème l’inquiète, il sent bien qu’il ne le résoudra pas. Le XVIIIe siècle n’a rien compris aux créations instinctives et spontanées des âges primitifs ; il voit partout des combinaisons réfléchies, des calculs d’hommes d’état ; il a laissé au XIXe siècle l’honneur de porter la lumière dans ce laboratoire mystérieux où se sont engendrés les peuples, les sociétés, les langues, les mythes et les dieux. Certaines notes retrouvées dans les papiers de Lessing témoignent des oscillations et des tâtonnemens de sa pensée, qu’obsédait ce grand problème. Tantôt il semble considérer les religions positives comme des apostilles faites à la religion naturelle dans une vue politique ; mais rien n’est moins naturel que la religion naturelle, le simple est en toute chose le dernier mot de l’esprit humain ; les fétiches et les abraxas sont bien plus anciens dans ce monde que la raison, elle peut prétendre à tout sauf aux prérogatives du droit d’aînesse. Ailleurs Lessing s’est avisé