Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/1032

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comptent dans leurs rangs des hommes de toutes les nuances, et sont aussi unanimes sur les propositions fondamentales de leur science qu’ils se montrent divisés sur les questions de gouvernement.

Ces observations nous ont été inspirées par la lecture de la discussion des lois sur les sociétés commerciales et sur l’abolition de la contrainte par corps. A chaque page se trouvent des récriminations contre le régime politique transformées en objections contre la liberté industrielle. Là n’était pas la place de ces discours ; il fallait les réserver pour des occasions meilleures qui ne tarderont pas à s’offrir. C’est au point de vue de la législation et de l’économie publique, et à ce point de vue seulement, que nous nous placerons pour étudier les lois qui sont venues récemment modifier plusieurs dispositions fort anciennes de nos codes. Ces changemens ont d’un côté excité des frayeurs qui, selon nous, sont vaines, et de l’autre soulevé des résistances politiques inopportunes. Nous ne croyons pas que ces lois soient irréprochables, et nous nous proposons d’en signaler les imperfections ; mais la justesse dans les motifs a, en matière de critique, autant d’importance que l’exactitude des conclusions. Aussi tâcherons-nous dans ce qui va suivre de nous soustraire aux terreurs chimériques et aux passions de parti pour nous renfermer dans les limites d’un examen équitable.


Pour mesurer la portée de la loi sur les sociétés commerciales, il faut montrer la série des combinaisons ou catégories de sociétés que le mouvement des intérêts a successivement créées. Nous verrons ainsi se dérouler la genèse des nouvelles dispositions. A l’origine, les hommes qui réunissaient leurs capitaux ou leur industrie dans une entreprise commune ont engagé solidairement tous leurs biens dans l’association. La responsabilité de chacun des associés et la garantie offerte aux tiers qui contractaient avec eux étaient donc aussi étendues que possible. Cette manière de se grouper convenait à des sociétés formées d’un petit nombre de membres qui se connaissaient tous et se surveillaient réciproquement. Peut-être aussi au début était-il nécessaire, pour habituer le public à l’idée nouvelle et abstraite de société, de lui offrir des débiteurs qui répondissent des obligations de l’être moral comme de leurs propres engagemens. Chez les peuples les plus avancés, cette forme de l’association a continué de jouir d’une certaine faveur, et a souvent été considérée comme propre à augmenter la solidité du crédit d’une société. A quelque époque d’ailleurs qu’on la prenne, on voit qu’elle n’a jamais été employée que pour des affaires peu importantes. Suffisante dans les commencemens, lorsque les entreprises n’avaient qu’une médiocre étendue, elle n’a pas depuis augmenté de puissance, et ne s’applique guère aujourd’hui qu’au négoce