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permettent de décider sur le sérieux d’une affaire, et lui concilieront la confiance des capitalistes indécis. Ce double but a-t-il été atteint ? Il serait téméraire de l’affirmer. C’est une présomption singulière de croire qu’il suffit d’édicter un règlement pour arrêter arbitrairement la volonté des parties. Les affaires les moins recommandables ont passé à travers les mailles de la loi, et l’événement a prouvé que les formalités ne pouvaient préserver ni les simples d’esprit ni les pauvres gens. Soutiendra-t-on que les dupes auraient été plus nombreuses, si aucun frein n’avait existé ? Cela est loin d’être prouvé, et même cela est peu probable. Les entrepreneurs d’affaires véreuses ont très vite appris l’art de s’accommoder des conditions exigées par la loi sur la commandite. D’un autre côté, qui nous dira le nombre des affaires honnêtes que ces précautions ont arrêtées en leur imposant des charges hors de proportion avec l’importance des petites entreprises ? L’autorisation préalable exigée pour l’anonymat a également été éludée par ceux qui ne pouvaient pas affronter les regards du conseil d’état. Il suffisait pour cela de mettre à la tête de la société un gérant tenu pour le tout, mais n’ayant aucune responsabilité réelle, un de ces hommes enfin que la malice populaire a nommés gérans de paille. Le commandité sans doute était obligé sur tous ses biens et même par corps ; mais en quoi cet engagement pouvait-il augmenter la sécurité des créanciers ? Il créait seulement l’embarras d’un gérant qui pouvait faire payer cher ses services, et en cours d’opérations pratiquer quelqu’une de ces manœuvres habituelles aux gens déclassés, telle d’ailleurs qu’on pouvait en attendre du personnage qui acceptait un rôle pareil. Ce qui était l’accessoire devenant le principal, le gérant n’ayant rien et les bailleurs de fonds fournissant tout, la division du capital en actions a été adaptée à la commandite altérée pour faire sans autorisation de véritables sociétés anonymes. Il y eut des abus et des scandales. L’émotion du public se communiqua au législateur. La commandite par actions fut étroitement bridée par la loi du 17 juillet 1856, tellement qu’elle eut de la peine à marcher. Effrayés par la responsabilité mise à leur charge, les hommes sérieux évitèrent les conseils de surveillance et en abandonnèrent les places à ceux qui, n’ayant que peu à perdre, n’avaient presque rien à redouter. A force de garantir le public, on étouffa les bonnes affaires, on craignit tant les fripons qu’on mit en fuite les gens honnêtes, on fit tant pour effrayer les coquins qu’ils restèrent, au moins provisoirement, maîtres de la place. Au reste l’anonymat n’était applicable qu’aux entreprises grandes et durables. Qui aurait eu l’idée de mettre en mouvement le conseil d’état pour examiner une société de petite importance et de courte durée ? Cette forme de société n’était donc accessible qu’à quelques grandes