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être ainsi l’an prochain en Prusse et dans la confédération du nord. Les auteurs de la loi sur la presse, trop minutieux et trop rétrogrades, ne veulent point encore qu’il en soit ainsi en France. Le timbre des journaux ne rapporte à l’état qu’une misère, et représente cependant pour leurs abonnés une lourde taxe qui empêche la diffusion de ces produits d’information si nécessaire à notre époque. L’intérêt du trésor est si mince dans cet impôt du timbre, l’intérêt du public en est si évidemment contrarié, que l’abolition de cet ancien système fiscal eût dû être un des premiers objets de la nouvelle loi. Les auteurs de la mesure n’ont pas eu la générosité de sacrifier très peu de millions à la satisfaction d’un intérêt public d’un ordre à la fois pratiquent élevé. Sans souci de notre renommée dans le monde, ils maintiennent une taxe qui n’est plus regardée chez les peuples éclairés que comme un impôt prohibitif sur la lecture, ils ne commettent pas seulement cette atteinte à l’intérêt public, ils appliquent au timbre des inégalités qui ne sont point compatibles avec l’esprit de nos lois. Ils veulent une taxe différente sur les journaux de Paris et les journaux de province ; ils veulent frapper les journaux politiques et non les feuilles prétendues littéraires, élevant des distinctions subtiles qui méconnaissent le principe d’égalité. Comment descendent-ils à un pareil marchandage sous le regard moqueur des peuples étrangers, surpris qu’on en soit encore en France à ces petitesses outrageantes pour l’esprit humain ? Pourquoi ne suppriment-ils pas le timbre purement et simplement ?

Les pénalités dont on se propose de tenir la menace suspendue sur les journaux sont une erreur plus grave encore. Quoi ! le programme du 19 janvier nous avait été présenté comme une avance de paix et de conciliation faite aux intérêts libéraux, et c’est ce code draconien qu’on prépare à la presse ! Est-ce sage, est-ce juste, est-ce généreux ? Ne craint-on point d’offenser la presse française et l’élite intellectuelle de la nation ? Quand la liberté de la presse pourrait être exploitée par des écrivains indignes et malintentionnés, ne suffirait-il point, pour les réduire à l’impuissance, du droit commun et de la défaveur publique ? Croit-on que les honnêtes gens de la presse, ceux qu’élèvent les convictions sérieuses et la préoccupation constante des grands intérêts et des grandes affaires du pays, ceux qui ont à répondre devant leurs contemporains et devant l’histoire de la conservation et de l’honneur des principes de la révolution française, puissent prendre la plume sans frémir en face d’une législation qui outragerait par l’intimidation la noble profession où les appellent leur patriotisme et leur talent ? Si la qualité et l’accumulation des mesures répressives préparées avec raffinement contre les travailleurs de la presse par des légistes épris de la méditation du code pénal, comme les anciens magistrats grisés du spectacle de la torture, demeurent dans la loi, si on veut traiter la presse par l’intimidation, comment