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légère pression la laitance du mâle sur les œufs extraits de la même façon du ventre de la femelle. En réalité, cette opération n’a rien d’artificiel, car elle se borne à provoquer sur des poissons captifs la fécondation que ceux-ci font spontanément à l’état libre. On sait en effet que la femelle commence par se débarrasser de ses œufs en se frottant le ventre contre des cailloux, et que le mâle vient ensuite les arroser de sa laitance ; mais cette découverte parut si extraordinaire lorsqu’il en fut pour la première fois question, vers 1840, qu’un véritable engouement s’empara du public et des savans ; quelques-uns même s’imaginèrent qu’on allait instantanément repeupler les cours d’eau de poissons de toute espèce, et crurent que la pisciculture était destinée à opérer une révolution dans l’alimentation du peuple et à s’élever à la hauteur d’une question sociale. Voilà plus de vingt ans que la découverte du pêcheur Remy s’est répandue au-delà des montagnes où il en a le premier fait l’application, et l’on sait combien peu jusqu’ici ces espérances ont été confirmées ; mais, pour n’avoir pas tenu toutes ses promesses, on aurait tort de croire que la pisciculture n’est pas appelée à rendre de véritables services, à la condition toutefois qu’on saura se faire une idée juste des circonstances économiques où elle peut se développer convenablement.

La première condition pour assurer le repeuplement des cours d’eau, c’est d’empêcher qu’ils ne soient empoisonnés par les matières toxiques qui y sont jetées à dessein pour faire périr le poisson ou y sont déversées par certaines usines. C’est là une question de police qu’on ne saurait négliger sans rendre illusoires tous les efforts des pisciculteurs, si distingués qu’ils soient. Cette condition remplie, il suffit d’assurer la fécondation des œufs abandonnés par la femelle et de protéger les jeunes poissons qui en sont issus contre leurs trop nombreux ennemis. Bien des œufs en effet sont pondus sans être fécondés, soit parce qu’ils sont emportés par le courant, soit parce qu’ils sont dévorés par les poissons adultes ; il en est de même de l’alevin, qui, à peine éclos, incapable de se défendre, devient le plus souvent la proie des espèces rapaces. Si ces causes de destruction n’existaient pas, la pisciculture n’aurait aucune raison d’être, car la nature répand ses germes avec une telle profusion que, si tous arrivaient à maturité, en quelques années nos fleuves seraient trop étroits pour contenir l’innombrable multitude des poissons qui s’y développeraient.

Toutes les espèces n’ont pas la même fécondité ni les mêmes dangers à courir, et il en est qu’on peut abandonner à elles-mêmes avec la certitude qu’elles se reproduiront toujours en quantité suffisante ; il en est d’autres au contraire qu’il faut protéger, si l’on