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de force, et des gendarmes escortèrent sabre en main leurs voitures jusqu’aux frontières du royaume de Naples. Du moment où les membres du sacré-collège n’étaient plus respectés dans leurs personnes, rien d’extraordinaire si les représentans des cabinets étrangers ne l’étaient pas davantage dans leurs immunités diplomatiques. Un beau matin, le chevalier de Vargas, ambassadeur de la cour de Madrid, vit en effet sa demeure officielle envahie par quatre soldats français et un caporal, chargés, disaient-ils, de s’emparer du bureau de poste qui était dans son hôtel[1].

La mesure d’ailleurs était générale. De même qu’il avait envoyé un détachement de ses troupes s’emparer de la poste aux chevaux et un autre piquet mettre la main sur la boîte aux lettres particulière à sa sainteté, de même qu’il avait nommé un inspecteur chargé de surveiller la correspondance publique, de même le général Miollis trouvait commode, et partant licite, de ne pas respecter davantage la correspondance des ambassadeurs accrédités auprès de la cour de Rome. Le but était toujours celui que l’empereur avait si bien indiqué dans ses instructions à M. Alquier. Il ne fallait pas que le saint-père, qui déjà ne pouvait plus rien publier dans ses propres états par voie d’affiche ou d’impression, fût libre d’envoyer des courriers au dehors; il ne fallait pas non plus qu’à l’insu du commandant de l’armée française il se mît en communication secrète avec les représentans des puissances étrangères. Tout ne serait-il pas compromis, si ceux-ci continuaient à jouir du privilège qui depuis des temps immémoriaux leur permettait de confier à des hommes de leur nation et de leur choix le service de leurs correspondances? En un mot, à Rome comme à Paris, comme partout. Napoléon non-seulement entendait rester le maître, mais voulait agir et parler seul. Tandis qu’il lui convenait de dénoncer Pie VII à ses propres sujets, à l’Europe entière, comme se refusant par une folle obstination à des propositions d’accommodement parfaitement acceptables, il était à propos d’empêcher le même Pie VII de s’expliquer devant ses sujets et devant l’Europe. Il importait surtout que la vérité ne se fît pas jour, et qu’en France particulièrement on ne sût pas un mot de ce qui se passait à Rome. Chose étrange, c’était le Vatican, ce modèle par excellence des gouvernemens d’ancien régime, d’ordinaire si amoureux de la discrétion et du mystère, qui avait cette fois soif de publicité, et qui de toutes les manières s’ingéniait pour faire appel à l’opinion. C’était l’homme des temps nouveaux, le soi-disant héritier de la révolution française et des principes de 89, qui fuyait le grand jour, qui épaississait à dessein tous les voiles et imposait le silence par la force.

  1. Lettre du chevalier de Vargas, ambassadeur d’Espagne, au général Miollis, 26 février 1808.