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Ces nuances un peu contradictoires que Napoléon excellait à garder dans ses paroles ne sont pas toujours aussi faciles à maintenir dans l’action. En réalité, la manière dont à Rome les ordres de l’empereur furent habituellement mis à exécution n’était point de nature à tempérer l’amère douleur qu’ils ne pouvaient manquer de causer à Pie VII. Les termes des dépêches qu’ils recevaient à la fois de Paris et de Milan faisaient assez connaître à M. Alquier et au général Miollis combien vive était en ce moment l’irritation de leur tout-puissant maître. Ménager si peu que ce fût la sensibilité du saint-père, suivre en cette occasion leur penchant naturel, qui les portait à user de modération et de douceur, eût été trop dangereux. Ils n’y songèrent ni l’un ni l’autre. Ils se trouvèrent au contraire d’accord pour exécuter à la lettre la déplaisante commission dont ils étaient chargés. Trois jours furent donnés aux cardinaux désignés pour quitter Rome; à l’expiration de ce délai et sur leur refus, la force armée se présenta chez eux et les fit partir de vive force. Le secrétaire d’état, Doria Pamphili, ne fut pas plus épargné que ses collègues, et n’obtint pas une seule minute de répit pour remettre à son successeur, le cardinal Gabrielli, les papiers de son ministère. Quant à l’ordre du jour adressé aux troupes papales pour leur annoncer leur incorporation dans l’armée française, le général Miollis, se conformant sans doute aux instructions reçues du ministre de la guerre, avait pris soin d’y faire intervenir directement le nom de l’empereur et de le rédiger dans les termes les plus blessans pour le gouvernement pontifical. Il était ainsi conçu : « Sa majesté l’empereur et roi Napoléon témoigne sa satisfaction aux troupes de sa sainteté pour leur bonne tenue. Elles ne recevront plus d’ordres à l’avenir ni des prêtres ni des femmes. Des soldats doivent être commandés par des soldats. Les troupes peuvent être assurées qu’elles ne retourneront plus sous les drapeaux des prêtres. L’empereur et roi leur donnera des généraux que leur bravoure a rendus dignes de les conduire[1]. »

Tandis que le général Miollis, procédant avec une rudesse évidemment imposée, et qui contrastait de la façon la plus singulière avec sa courtoisie bien connue, s’emparait par tous les moyens possibles de l’absolu gouvernement de la ville de Rome, la situation du ministre de France, M. Alquier, devenait de plus en plus embarrassante, et ce fut, nous le supposons, avec un véritable soulagement qu’il reçut enfin l’invitation de quitter son poste sans bruit, comme s’il avait demandé et reçu un congé. Il avait ordre de laisser pour chargé d’affaires à sa place un simple secrétaire de légation, M. Lefebvre. Cette détermination de l’empereur au sujet du rappel de

  1. Ordre du jour du général Miollis. Au quartier-général de Rome, le 27 mars 1808.