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résignation. Le prince demeura toujours conciliant. Ce fut le pontife qui se révolta, et Pie VII ne devint véritablement intraitable qu’à l’heure précise où lui arriva de Paris l’injonction d’avoir à se priver du concours des plus grands dignitaires de son église, de ceux-là mêmes qui remplissaient près de lui dans les différentes congrégations cardinalesques des fonctions toutes spirituelles, exclusivement relatives au gouvernement des âmes. Cette mesure qui tombait tout à coup sûr des personnages placés si près de lui causait à Pie VII une émotion d’autant plus vive que, pour son compte, il avait d’avance accepté d’être lui-même frappé par l’empereur. Il s’y attendait même, car dans ses mains, dans ses mains seules, se trouvaient réunis et confondus les deux pouvoirs temporel et religieux. Souffrir un jour les plus rudes traitemens, la captivité ou l’exil, pour la défense des intérêts catholiques, de telles extrémités ne l’ébranlaient point; il y était depuis longtemps préparé. Le martyre même ne l’aurait pas trop effrayé, et volontiers il s’offrait en pensée comme une victime innocente aux terribles colères de l’empereur; mais qu’on osât mettre la main sur ses conseillers naturels, sur les auxiliaires indispensables de sa mission religieuse, que des prêtres qu’il n’avait jamais consultés qu’en matière de foi et sur des points de doctrine fussent violemment arrachés à leurs devoirs ecclésiastiques, c’était à ses yeux une iniquité, un commencement de persécution religieuse qu’il ne devait tolérer à aucun prix. L’hésitation ne lui était plus permise. Chacun des cardinaux reçut donc de la part de Pie VII l’injonction formelle de ne point quitter Rome. « Dans le cas où votre éminence, après avoir été indignement arrachée du sein du chef de l’église, serait rendue libre à quelque distance de Rome, c’est la volonté de sa sainteté, disait la lettre qui leur avait été adressée, que vous ne poursuiviez pas le voyage, à moins que la force ne vous conduise jusqu’au lieu de votre destination, et cela, afin de constater que la violence seule a pu vous éloigner du saint-siège[1]. »

Est-il besoin de dire que le général Miollis ne se laissa arrêter ni par les refus des cardinaux, ni par les sommations du saint-siège? Ses ordres ne comportaient point de compromis. Il les exécuta tels qu’il les avait reçus. A Rome, la consternation fut extrême quand partirent les cardinaux napolitains, et l’épouvante régnait surtout parmi leurs collègues du sacré-collège. Un autre sentiment animait Pie VII et lui fit prendre alors une détermination des plus graves : il résolut d’ôter ses pouvoirs de légat au cardinal Caprara et de le rappeler de Paris. Rompre officiellement tout rapport avec le souverain de la France, rien ne pouvait être en ce moment plus dange-

  1. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 56.