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être la rigueur qu’on voudra exercer sur eux, les sujets de sa sainteté se rappelleront qu’ils sont chrétiens et par conséquent disciples de ce divin maître qui, en promettant de grandes récompenses éternelles dans la vie à venir, n’a annoncé et n’a prédit pour cette vie mortelle que des tribulations et des persécutions, et qui pour cela leur a enseigné à craindre non point ceux qui tuent le corps et ne peuvent aller plus avant, mais celui qui peut livrer l’âme et le corps à la perdition éternelle[1]. »


Il est plus facile d’imaginer que de décrire l’immense agitation jetée au sein des villes et des campagnes des Marches et de l’Ombrie par ces paroles adressées du haut du Vatican à des populations très catholiques, sur lesquelles leurs évêques, leurs curés, les moines surtout, avaient gardé une très puissante influence. Les dangers trop probables d’une révolte populaire, dont la responsabilité aurait lourdement pesé sur la conscience du saint-père (car la répression en aurait été aussi facile qu’impitoyable), avaient engagé beaucoup de bons esprits à détourner Pie VII de lancer cette imprudente provocation; mais il avait repoussé les instances de ses plus fidèles et plus intimes serviteurs. Il en était de cette instruction comme de la lettre de rappel du cardinal Caprara; elle était l’œuvre personnelle du saint-père. Depuis que par ordre de l’empereur tant de membres du sacré-collège avaient été enlevés de Rome, et parmi eux un certain nombre de cardinaux qui, rattachés par leur origine aux provinces devenues françaises ou réunies à l’Italie, auraient eu tout intérêt à calmer les impétueux sentimens de Pie VII, il arrivait une chose que Napoléon, s’il avait été lui-même plus modéré ou seulement plus prévoyant, aurait pu à l’avance facilement deviner. Le malheureux pontife, laissé à ses propres impressions, de plus en plus surexcité par la solitude qu’on avait faite autour de sa personne, mettant une sorte d’orgueil à témoigner que sa force était en lui-même et qu’on n’aurait jamais raison de liii par la violence, repoussait de parti-pris les avis qu’il suspectait de timidité, et se trouvait, par la force des circonstances et par la faute de l’empereur, n’avoir désormais auprès de lui, pour conseillers et pour auxiliaires dans la lutte opiniâtre qu’il avait à soutenir, que des cardinaux la plupart accablés de vieillesse et d’infirmités, ou des hommes plus jeunes, mais aussi plus obstinés, plus ardens, à passions très étroites et depuis longtemps connus pour leur hostilité envers la France. M. Lefebvre avait, comme M. Alquier, rendu un compte exact à M. de Champagny de ce qui se passait sous ses yeux à Rome, lorsqu’au moment de prendre congé du saint-père il l’avait représenté comme ayant, par sa volonté per-

  1. Instruction envoyée par ordre de Pie VII aux évêques des provinces italiennes annexées, 22 mai 1808.