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lemagne saura bien détruire à son tour par un décret daté de la capitale de l’ancien empire d’Allemagne. Ces rapprochemens historiques qu’évoquait l’imagination puissante de Napoléon avaient le malheur, en exaltant démesurément son orgueil, de troubler parfois un peu sa raison. Lancé à la poursuite d’une gigantesque et folle grandeur, il lui arrivait alors de perdre complètement, dans son langage aussi bien que dans sa conduite, cette modération de bon goût, cette calme appréciation des choses dont l’absence, partout choquante, non-seulement étonne, mais attriste singulièrement de la part d’un aussi grand esprit.


« L’intention de l’empereur, écrit-il de Schœnbrunn à M. de Champagny, est de faire communiquer au sénat, du 5 au 10 juin, deux décrets au sujet de la prise de possession des états du pape. Sa majesté désire que le rapport qui accompagnera les décrets développe les motifs établis dans les considérans, et qu’il prouve que, lorsque Charlemagne fit les papes souverains temporels, il voulut qu’ils restassent vassaux de l’empire ; qu’aujourd’hui, loin de se croire vassaux de l’empire, ils ne veulent même pas en faire partie ; que Charlemagne, dans sa générosité envers les papes, eut pour but le bien de la chrétienté, et qu’aujourd’hui ils prétendent s’allier avec les protestans et les ennemis de la chrétienté ; que le moindre inconvénient qui résulte de semblables dispositions est de voir le chef de l’église en négociation avec les protestans, lorsque, d’après les lois de l’église, il devrait s’éloigner d’eux et les excommunier (Il y a sur ce sujet une prière qui se récite à Rome). — Suit un historique assez peu fidèle de ses différends avec la cour de Rome. —… Pour couper court à ces discussions si contraires au bien de la religion, si contraires au bien de l’empire, sa majesté n’a qu’un moyen : c’est de révoquer la donation de Charlemagne et de réduire les papes à ce qu’ils doivent être en mettant le pouvoir spirituel à l’abri des passions auxquelles l’autorité temporelle est sujette. Jésus-Christ, né du sang de David, ne voulut point être roi. Pendant des siècles, les fondateurs de notre religion n’ont point été rois. Il n’est aucun historien, aucun docteur de bonne foi, qui ne convienne que la puissance temporelle des papes a été funeste à la religion. Si des discussions ont si longtemps agité l’intérieur de la France, la cause en était non dans le pouvoir spirituel, mais dans le pouvoir temporel de Rome. Si de grandes nations se sont séparées de l’église, la cause en était encore dans l’abus du pouvoir de Rome….

« L’intérêt de la religion et celui des peuples de France, d’Allemagne, d’Italie, ordonnent également à sa majesté de mettre un terme à cette ridicule puissance temporelle, faible reste des exagérations des Grégoire,… qui prétendaient régner sur les rois, donner des couronnes et avoir la direction des affaires de la terre comme de celles du ciel… Si sa majesté ne fait pas ce que seule elle peut faire, elle laissera à l’Eu-