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aller loger au palais de la préfecture; mais à Grenoble il y avait des autorités pour prendre les mesures ordonnées de Paris, il y avait aussi une garnison pour prêter main-forte aux mesures de l’autorité. On s’en aperçut en ce que les cloches ne furent pas mises en branle, et que le clergé fut invité à ne pas se rendre hors de la ville au-devant du saint-père. A Grenoble, le cardinal Pacca fut de nouveau séparé du pape. Toute communication fut interdite entre eux, et l’ancien secrétaire d’état demeura gardé à vue dans une maison particulière. Quant au saint-père, on le traita avec beaucoup d’égards. On lui offrit des voitures pour aller visiter les environs de la ville ; il les refusa, disant qu’il se considérait toujours comme prisonnier. Il accepta seulement de se promener dans le jardin de la préfecture. La foule, qui connaissait les heures de ses promenades, se pressait aux grilles du jardin pour voir Pie VII de plus près et solliciter sa bénédiction. On venait pour cela de très loin dans les campagnes. Jamais cette ardeur ne se ralentit. Le préfet de Grenoble était alors absent, à dessein peut-être. Les autorités de la ville étaient attentives pour Pie VII, très polies même, mais gênées et très fort sur leurs gardes; on eût dit qu’elles attendaient quelque chose pour prendre leur parti sur l’attitude qu’il convenait de garder avec le pape. Elles attendaient en effet les ordres de l’empereur.

Ces ordres étaient enfin arrivés; ils étaient adressés à Fouché, ministre de la police générale de l’empire. Ils étaient datés de Schœnbrunn 6 juillet, douze jours après la victoire de Wagram. L’empereur se trouvait avoir reçu à la fois non-seulement la nouvelle de l’arrestation du pape, mais aussi celle de l’effet que cette arrestation avait produit à Rome, à Florence, à Gênes et sur tout le chemin qu’avait parcouru le saint-père depuis qu’on l’avait enlevé violemment de son palais du Quirinal. Napoléon se sentit un peu embarrassé des instructions si positives qu’il avait envoyées au général Miollis et au roi Murat. Peut-être en avait-il oublié la teneur. L’exécution de ses ordres lui causait quelque ennui; il prit aussitôt le parti de les nier... « Je suis fâché, disait-il à Fouché, qu’on ait arrêté le pape, c’est une grande folie : il fallait arrêter le cardinal Pacca et laisser le pape tranquille à Rome; mais enfin il n’y a point de remède, ce qui est fait est fait. Je ne sais ce qu’aura fait le prince Borghèse; mais mon intention est que le pape n’entre pas en France. S’il est encore dans la rivière de Gênes, le meilleur endroit pour le placer serait Savone. Il y a là une grande maison où il serait assez convenablement, jusqu’à ce que l’on sache ce que cela doit devenir. Je ne m’oppose point, si sa démence est finie, à ce qu’il soit renvoyé à Rome. S’il était entré en France, faites-le rétrograder sur Savone et sur San-Remo ; faites surveiller sa cor-