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de Dufresny et même Tartufe. Mme de Pompadour paraissait en Galatée ou en Dorine. Elle représentait l’Amour dans le Ballet des sens, et elle mettait autant d’art dans ses travestissemens que dans sa manière de jouer. Mme de Pompadour était naturellement le premier rôle sur ce théâtre des petits cabinets, où d’Argenson s’indignait de voir passer a des officiers-généraux et des baladins, de grandes dames de la cour et des filles de théâtre. » Cela dura quelques années. Le roi s’amusait-il beaucoup? Il paraissait s’y plaire, au moins dans les premiers temps; il bâillait aussi quelquefois, et dans la seule année 1750 il eut à payer pour frais de représentations dans les petits cabinets deux cent trente mille livres, ce qui ne laissait pas de mettre à un assez haut prix le plaisir de voir jouer la galante marquise.

Que le roi s’ennuyât, on pouvait à la rigueur le divertir, le promener à travers les enchantemens de fêtes perpétuelles, organiser des spectacles ou des soupers; mais il y avait un bien autre danger à conjurer : il fallait empêcher l’ennui de conduire à l’inconstance ou du moins à une inconstance qui eût été suivie de l’abandon. En un mot, il fallait vaincre ou écarter des rivales. Pendant longtemps, Mme de Pompadour eut à déjouer bien des tentatives qu’on fit pour la remplacer par une favorite de qualité. Un jour c’était une princesse de Rohan, un autre jour la comtesse de La Mark, puis la comtesse de Coislin, qui se crut un moment près de triompher, plus tard une comtesse de Choiseul. Dans cette cour étrange, les intrigues de sérail se croisaient et devenaient les grandes affaires; Mme de Pompadour vivait dans des transes de tous les instans; elle craignait d’autant plus que, si elle ne manquait pas de grâce et de beauté, elle ne remplissait pas d’un autre côté toutes les conditions de son ministère de galanterie. Comment dirai-je? Pétrone le dirait bien. Mme de Pompadour n’avait point de sens, elle était parfaitement froide de tempérament. Elle tremblait que le roi ne la prît en dégoût. Alors elle eut recours à un moyen héroïque, dont l’emploi laisse sur son caractère un sceau indélébile. Ce qu’elle craignait par-dessus tout, ce n’était pas que Louis XV eût d’autres amours, c’était qu’il choisît une favorite nouvelle parmi toutes ces femmes titrées qui ne demandaient pas mieux que de se livrer à lui, pourvu qu’on leur assurât les prérogatives de cette étrange dignité. Mme de Pompadour mit toute son habileté à écarter les grandes dames, et dans l’intérêt des plaisirs du roi elle devint la complice d’une multitude de liaisons obscures « dont la bassesse faisait sa sûreté. » Elle se faisait la charitable auxiliaire de Louis XV dans ses débauches furtives et honteuses du Parc-aux-Cerfs; elle lui donnait même des maîtresses qu’elle faisait disparaître après en les payant, qu’elle mariait quelquefois. Elle ne craignait nullement celles-là. Elle n’eut une dernière crainte qu’à l’occasion d’une aventure du roi avec une jeune fille, Mlle de Romans, dont il eut un enfant qui fut sous Louis XVI l’abbé de