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Les considérations politiques dans cette question de l’armée dominent de si haut les considérations purement militaires, que les dissidences consciencieuses qui se sont élevées sur les dispositions techniques de la loi débattue entre le gouvernement et la chambre ne présentent plus à nos yeux qu’un intérêt secondaire. Il faut rendre justice au corps législatif. La question militaire y a été discutée avec une application scrupuleuse, avec une patience méritoire, avec une généreuse élévation de sentimens. L’opposition a pris à cette ardente controverse une part éminente. La pensée fixée sur les justes principes de la révolution et les intérêts qui attachent la civilisation moderne à la paix, elle a émis des théories qui, si elles ont l’air de dépasser les nécessités ou les possibilités présentes, sont conformes à l’objet que poursuivent l’instinct et le vœu des peuples, une pacifique confédération européenne. Si la France était plus avancée en libéralisme, on eût pu mêler plus d’esprit civil à l’organisation nouvelle de nos forces d’attaque et de défense. On eût pu, en obéissant au principe de justice et d’égalité, étendre sur l’universalité des citoyens l’obligation de l’apprentissage et au besoin du service militaire. Autour du faisceau d’une armée active de qualité excellente, on eût pu fonder la préparation régulière et permanente de la levée en masse, qui est le recours suprême et irrésistible des démocraties. En équilibrant les charges sur la totalité des citoyens, on eût évité d’en faire peser trop exclusivement et trop longtemps le poids sur une partie. L’éducation militaire, se communiquant à tous, eût fortifié le tempérament national et les mœurs politiques. C’est à une organisation semblable que le développement des institutions démocratiques doit dans l’avenir conduire la France. Puisque notre état politique et social ne comporte point encore l’application absolue de l’égalité à l’obligation du service militaire, il faut bien se résigner aux moins mauvaises des combinaisons transitoires. C’est en somme le seul accueil que les esprits impartiaux puissent faire à la loi qui va être votée. Cette loi a au moins le mérite de s’être retrempée à l’esprit de la loi de 1832, qui nous avait fait une si vive et si belle armée. Pour les cas de guerre, elle assure le concours d’une réserve exercée ; par l’organisation de la garde mobile, elle fait une première tentative pour unir l’esprit civil à l’esprit militaire. Elle place la France sur un pied respectable et à l’abri de tout affront tant que durera la situation incertaine et précaire de l’Europe. Cette situation aurait bien peu de durée, si, en même temps que la France établit sa force, elle se donnait à elle-même la garantie d’un gouvernement guidé et contrôlé par l’usage de toutes les libertés publiques et par un régime représentatif véritablement logique et harmonieux dans son système et dans sa conduite. L’exemple de la France libre et ayant droit par la constante franchise de ses discussions à la confiance de tous les peuples serait contagieux en Europe ; il produirait un changement de vue universel qui rendrait