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faible pente qu’elles convertissent en marécages, et que les collines d’où les affluens sont issus ne présentent qu’un relief médiocre. Le niveau général de la contrée est pourtant assez élevé; mais on dirait que le sol a été soulevé tout d’une pièce, sans fissure ni dislocation, par suite sans thalwegs ni lignes de faîte. Une telle disposition, que nous retrouverons au reste de tous les côtés où l’on a tenté d’aborder le cœur de l’Afrique, n’est pas de nature à faire avancer la géographie de cet épais continent, car autant il est commode d’orienter sur une carte de grandes chaînes qui s’aperçoivent de très loin et fournissent des repères à distance, autant il est difficile de débrouiller le chaos de mille bassins secondaires dont les limites se confondent aux yeux d’explorateurs différens. Cette vérité se prouverait par plus d’un exemple. La géographie des deux Amériques a été faite en une courte période de temps, grâce aux beaux fleuves et aux vigoureuses Cordillères qui en accentuent la surface. L’Australie, pays presque plat, est encore à moitié inconnue. Après des milliers d’années, on ignore ce qu’il y a au centre de l’Afrique et dans quel sens coulent les eaux qui en arrosent la zone tropicale.

Le Nil se distingue encore par le petit nombre de villes bâties sur ses rives. Depuis la sortie d’Egypte jusqu’au confluent du Bahr-el-Azrek, le cours en est obstrué par de nombreuses cataractes qui rendent la navigation si pénible que la plupart des voyageurs préfèrent traverser le désert. Lorsque ce passage difficile est franchi, on arrive à Khartoum, ville moderne située entre les 15e et 16e degrés de latitude, non loin de l’emplacement qu’occupait l’antique Méroé; ce fut longtemps la limite extrême qu’atteignirent les excursions des Européens. Capitale de la Nubie, Khartoum est devenue une cité de 30,000 âmes en dépit de la chaleur et de l’insalubrité du climat. C’est le siège d’un gouvernement provincial qui se sent assez indépendant de son souverain légitime, le vice-roi d’Egypte, dont il est séparé sur terre par un désert de sable, et sur le fleuve par les cataractes. C’est aussi un entrepôt de commerce pour la région supérieure du Nil, où les négocians de la Haute-Nubie vont acheter les dents d’éléphant, la gomme, la poudre d’or, les plumes d’autruche. En réalité, le trafic le plus florissant est celui des esclaves, dont la Nubie approvisionne l’Arabie, l’Egypte et tout le Levant; les nègres de cette provenance sont, dit-on, très estimés. Des bandes de Turcs et d’Européens en armes parcourent le pays en tous sens jusqu’aux confins des territoires connus, achetant des esclaves ou les enlevant de vive force; aussi les voyages de découvertes sont-ils devenus dangereux au milieu de ces tribus sauvages, qui se sont habituées à considérer tout blanc comme un ennemi. Les négocians de Khartoum ont encore créé bien plus loin vers le sud,