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est admirablement consciencieux, il a consulté toutes les sources qui étaient à sa disposition, et il les a indiquées avec une parfaite précision. Son récit, un peu lent, ne laisse pas d’être vivant par le détail et par les circonstances qu’il déroule devant nous ; ce n’est pas une biographie, ce sont des mémoires, et ces mémoires sont d’une lecture intéressante, comme tout ce qui nous fait pénétrer dans l’intimité des hommes célèbres. Nous y voyons non-seulement la vie particulière de Descartes, mais les circonstances générales dans lesquelles il a vécu. Rien ne nous autorise à révoquer en doute l’exactitude des faits rappelés par Baillet, car M. Millet, si sévère qu’il soit, n’a pu y relever une seule erreur. Quant aux travaux scientifiques et philosophiques, Baillet, il faut le reconnaître, est plutôt un témoin passif qu’un critique : il rapporte plus qu’il ne juge ; mais en cela même il prouve son bon sens, et il a encore pour nous cet important avantage d’avoir eu entre les mains des écrits de Descartes que nous n’avons plus, ou que nous n’avons qu’en partie : les extraits qu’il nous en donne ont donc une très grande valeur. Enfin le style de Baillet, sans avoir ni éclat ni concision, n’est nullement emphatique, il est naturel ; ce n’est pas le style fier de la société aristocratique de ce temps>là, c’est un style bourgeois, sans grandeur, mais solide, sain, honnête et d’une bonhomie parfaite. La Vie de Descartes de Baillet me paraît de la famille des Mémoires de Fontaine, ce livre excellent et charmant de l’école de Port-Royal.

Indépendamment de la Vie de Descartes et de sa Correspondance, l’auteur a encore eu à sa disposition une autre source récemment découverte, les Fragmens inédits, l’une des trouvailles les plus intéressantes de M. Foucher de Careil. C’est peut-être ici le lieu de rappeler en quelques mots l’histoire assez bizarre des papiers de Descartes, que M. Millet nous raconte avec beaucoup de détail : c’est une des parties les plus curieuses et les plus instructives de son livre. Descartes avait laissé deux séries de papiers, les uns en Hollande, les autres en Suède. Les papiers de Hollande avaient été confiés par lui, au moment de son départ pour Stockholm, à un de ses amis, M. de Hooghelande. Ils étaient enfermés dans un coffre que l’on ouvrit trois semaines après la mort du philosophe pour en faire l’inventaire. On n’a jamais revu ni cet inventaire ni ces papiers, parmi lesquels devait se trouver, suivant M. Millet, le traité du Monde, le plus complet ouvrage de Descartes. Notre jeune et ardent critique s’est mis courageusement à la recherche de ces papiers perdus, et il ne désespère pas un jour de les retrouver.

Quant aux papiers que Descartes avait emportés en Suède avec