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que celle dont il se servait avec son domestique, ils ne croyaient pas être compris de lui. Tout à coup Descartes prend un visage résolu et courroucé, tire l’épée, parle à ces misérables dans leur langue, et les menace de les tuer sur place, s’ils font le moindre mouvement contre lui. « Ce fut dans cette rencontre, dit Baillet, qu’il s’aperçut de l’impression que peut faire la hardiesse d’un homme sur une âme basse; je dis une hardiesse qui s’élève beaucoup au-dessus des forces et du pouvoir dans l’exécution, et qui, en d’autres occasions, pourrait passer pour une pure rodomontade. Celle qu’il fit paraître alors eut un effet merveilleux sur l’esprit de ces misérables. » L’épouvante qu’ils ressentirent fut suivie d’un étourdissement qui les empêcha de considérer leurs avantages, et ils le conduisirent paisiblement au port.

Parmi les événemens romanesques de la vie de Descartes, il est permis de compter la naissance d’une fille. Cette fille s’appelait Francine. Nous savons par Baillet qu’elle mourut à l’âge de trois ans dans les convulsions, et que Descartes éprouva de cette perte le plus violent chagrin. Jusqu’ici nous ne savions absolument rien de la mère de Francine : M. Millet nous apprend son nom, il a fait relever sur les registres de Hollande l’acte de baptême de cette enfant. Elle a été baptisée le 28 juillet 1635, le père ayant signé René, fils de Joachim (c’est bien notre Descartes), et la mère Hélène, fille de Jean. Maintenant de quelle nature ont été les rapports de Descartes avec cette Hélène? Après la mort de Descartes, les adeptes passionnés de notre philosophe, ne voulant pas, dit-on, laisser subsister une seule tache sur son nom, firent courir le bruit que Descartes avait été marié secrètement; mais l’honnête Baillet, quelque zélé qu’il fût pour son héros, ajoute peu de foi à cette supposition, et il dit naïvement que, « si M. Descartes a été marié, son mariage a été si clandestin que les casuistes les plus subtils auraient peine à ne pas lui donner le nom de concubinage. » Cependant, même après les dénégations de Baillet, il faut se garder de trancher témérairement la question, et la petite découverte de M. Millet, que nous venons de mentionner, fournit une présomption nouvelle et assez inattendue à l’hypothèse du mariage. En effet, ayant fait faire en Hollande des recherches sur la naissance de Francine, on lui répondit d’abord qu’après bien des soins inutiles on n’avait rien trouvé, ce qui n’était point d’ailleurs étonnant : la fille de Descartes étant un enfant naturel, avait dû être inscrite sur un livre particulier, destiné ad hoc, et qui portait le nom de Caalverenboek, livre aujourd’hui perdu. Cependant des recherches nouvelles, poursuivies avec zèle, obtiennent un meilleur succès, et M. Vitringa découvre l’acte de baptême signalé plus haut sur les