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Quoi qu’il en soit, le phénomène fournit à l’observateur les résultats les plus variés. C’est par les situations diverses des feuilles qu’il se manifeste. Pendant le jour, on le sait, elles se déploient toutes larges et exposent à la lumière du soleil la face supérieure, ordinairement concave ou légèrement cannelée. Vers le soir, la situation générale se modifie d’une façon sensible. Les feuilles simples qui sont opposées tantôt se redressent au point d’appliquer l’une à l’autre leurs faces supérieures, tantôt se resserrent contre la tige. Il en est qui se replient en entonnoir et enveloppent les fleurs, d’autres qui forment au-dessus de ces dernières une sorte de voûte gracieuse pour les abriter pendant la nuit. Des mouvemens plus marqués s’effectuent chaque soir chez les végétaux à feuilles composées ou ailées comme le cytise ou le robinier faux acacia. On voit ces plantes faire chaque soir leurs nocturnes préparatifs. Celles-ci replient simplement leurs feuilles, d’autres, plus prévoyantes, enveloppent prudemment leurs fleurs. Les grands lotus du Nil, les nénufars de nos lacs, retirent au fond des eaux leurs corolles soigneusement fermées, et il faut que le soleil revienne le lendemain illuminer la terre pour que la fleur endormie et frileuse consente à rouvrir ses pétales. Le sommeil des plantes, qui n’a évidemment d’autre cause qu’une propriété vitale inhérente aux végétaux eux-mêmes, se trouve toutefois en rapport manifestement intime avec la lumière plus ou moins intense dont ils sont entourés. Ainsi les plantes qui pendant longtemps ont été soustraites à l’action de la lumière solaire perdent la double faculté d’étendre et de reployer leurs feuilles. Cette faculté est toujours en raison directe de la quantité de lumière ambiante, et enfin, ce qui est plus concluant, des plantes fortement éclairées pendant la nuit, tandis qu’elles étaient pendant le jour maintenues dans un lieu obscur, avaient changé leurs habitudes au point de dormir pendant le jour et de veiller pendant la nuit.

Une particularité également curieuse, c’est l’influence qu’exerce sur l’économie végétale l’action désorganisatrice de certains poisons. On a vu des plantes, après l’absorption de substances toxiques telles que l’acide prussique, la noix vomique ou l’eau distillée de laurier-cerise, perdre la faculté soit d’abaisser leurs feuilles, soit de les reployer pendant la nuit. Celles-ci demeuraient étendues, mais inertes ; la vie paraissait en elles comme suspendue ; puis, au bout de quelques jours, elles se détachaient de l’arbre une à une, vertes encore, mais paralysées pour jamais. Les substances purement narcotiques les endorment d’un éternel sommeil. Après l’absorption d’une dissolution de camphre, les folioles de certains végétaux s’appliquent les unes contre les autres comme à l’approche