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land, Tahiti et Valparaiso. Elle rapportait de nombreuses collections qui forment à Vienne un musée spécial. La publication des travaux de la commission scientifique a été entreprise aux frais du gouvernement, dans un format et avec un luxe typographique si coûteux qu’elle a été plusieurs fois arrêtée par le manque de fonds spéciaux et aussi par les secousses si répétées que l’empire a subies. Quand elle sera complète, elle formera un recueil des plus importans à consulter : il est divisé en sept parties, consacrées à la physique nautique, à la zoologie, à la botanique, à la géologie paléontologique, à l’économie politique et au commerce, à l’ethnographie, à l’anthropologie et à la médecine dans ses rapports avec la géographie. Parmi ces travaux, ce sont ceux qui se rapportent à l’étude des forces productives des pays transocéaniques que nous voudrions faire connaître. Ils sont dus à M. Carl von Scherzer, conseiller au département du commerce à Vienne. Il a fait paraître d’abord le récit du voyage de la Novara en deux volumes dont le succès a été tel dans toute l’Allemagne, qu’il s’en est vendu plus de 25,000 exemplaires, et il vient de publier récemment les résultats statistiques et commerciaux qui, réunissant une énorme quantité de chiffres et de faits groupés d’une façon méthodique, permettent de contrôler ses appréciations.

Ce qui fait le charme et l’intérêt de ces récits de voyage, c’est que M. von Scherzer est à la fois un économiste, un naturaliste et un artiste. Ses tableaux des splendeurs de la nature tropicale ne sont point inférieurs à ceux du Cosmos. J’ai lu, il y a quelques années déjà, un livre où M. von Scherzer raconte un voyage d’exploration dans les forêts vierges de l’Amérique centrale, et ses descriptions étaient si bien faites qu’il me suffisait de fermer les yeux pour voir, comme si j’y étais, s’ouvrir au-dessus de ma tête la voûte de verdure des arbres immenses, et, dans le demi-jour glauque que produit cet ombrage, les lianes escalader les fûts élancés des palmiers afin de se rapprocher du jour, les orchidées, suspendues en l’air comme des oiseaux qui volent, étaler les éclatantes couleurs de leurs pétales si bizarrement découpés, les fougères revêtir le sol de leurs frondes légères, la végétation enfin jaillir partout de la terre comme une éruption de vie qui envahit tout sans repos et sans merci, mais qui tue l’homme, incapable de vivre dans cet air épais, très semblable à celui où s’épanouissait la flore de la période houillère. Ces tableaux se gravent si fortement dans la mémoire parce que les détails sont rendus avec la plus grande précision. L’auteur ne se contente pas du ton général et de la ligne vague ; il connaît toutes ces plantes, tous ces arbres, qui donnent au paysage son caractère distinctif; il les nomme, il les dépeint, il en indique d’un