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mot la physionomie. Pour faire connaître les aspects des pays lointains, rien n’égale la photographie, qui reproduit les choses telles qu’elles sont. Or le savant qui décrit arrive à peu près au même résultat, et, quand il est artiste, il y ajoute la poésie sans nuire à la vérité. Voilà ce qui séduit dans les tableaux de la nature tracés par Bernardin de Saint-Pierre, par Humboldt, et l’on peut presque ajouter par M. von Scherzer.

Toutefois l’intérêt principal que présente le récit du voyage de la Novara réside non dans le mérite des descriptions, mais dans l’étude des conditions économiques des différens pays successivement visités. C’est là le côté sérieux, instructif et vraiment original de l’œuvre. Depuis quelque temps déjà, l’économie politique semble rester stationnaire. Les principes généraux ont été établis par les maîtres de la science. En essayant de donner plus de précision aux formules, leurs successeurs sont arrivés souvent à remettre en question des vérités acquises qu’il faut ensuite rétablir à nouveau. On aboutit ainsi à des discussions de mots, à des débats scolastiques, d’où ne peuvent sortir ni lumière utile ni conseils pratiques. C’est l’étude des faits qu’il faut aborder maintenant dans le temps et dans l’espace, c’est-à-dire dans l’histoire et dans le monde contemporain[1]. L’économie politique, pas plus que la politique, n’est une science exacte, dont on peut saisir les lois au moyen de définitions, d’axiomes et de déductions, comme on le fait en algèbre ou en géométrie. L’objet de l’étude en effet n’est autre que l’homme, être libre, perfectible et obéissant à des mobiles très différens suivant la race ou l’époque à laquelle il appartient. Telle institution, excellente pour une société éclairée, sera une cause d’arrêt irrémédiable pour un peuple encore dans l’enfance. Le gouvernement despotique, qui à certaines époques paraît indispensable au progrès de la civilisation, devient plus tard une occasion de mécontentement, de troubles, d’insurrections et en définitive de décadence. Quand Montesquieu a voulu exposer l’esprit des lois, il ne s’est pas enfermé dans des formules abstraites, il a étudié les institutions de tous les peuples de la terre. Les autorités qu’il invoque sont parfois bien trompeuses, et les exemples qu’il cite méritent les railleries que Voltaire ne leur a pas épargnées; mais la méthode est excellente, elle éveille la cu-

  1. Des études économiques importantes et récemment parues montrent que les esprits se tournent de ce côté. Parmi les auteurs qui travaillent dans cette direction, il suffira de citer MM. Roscher pour l’Allemagne, Wolowski pour la France, Stuart Mill, Fawcett, Edwin Chadwick, Cliffe Leslie pour l’Angleterre, Jacini, Minghetti pour l’Italie, Le Hardy de Beaulieu pour la Belgique. C’est même l’intérêt tout actuel et si puissant des questions économiques qui a porté jusqu’aux philosophes, comme M. Jules Simon, à négliger leurs anciennes études pour s’occuper de l’amélioration du sort des classes laborieuses.