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qu’il désigne comme l’héroïne du roman, elle dont il se dispose à contempler les combats et la vertueuse vaillance ; mais subitement un coup de tonnerre retentit, et le roman, — pareil à ces journées d’été dont le milieu suspend les inquiétudes que donnait leur aurore et qui finissent par l’orage redouté, — après nous avoir promenés sournoisement sous une douce lumière, tient brusquement les promesses de son début et se termine sous un astre sanglant.

Un mot sur le caractère de Mme de Tècle. Sa vertu est-elle vraiment d’aussi bon aloi que nous l’affirme M. Feuillet, et le diable perd-il grand’ chose au prétendu sacrifice qu’elle fait de son amour? La compensation qu’elle imagine pour dédommager M. de Camors de n’avoir pu obtenir cet amour n’est-elle pas encore une forme subtile de sa passion, et une veine de secrète corruption ne trouve-t-elle pas moyen de se glisser au sein de cette pureté? Cette mère enfin est-elle bien prudente? Eh quoi! elle résiste à M. de Camors pour son propre compte en avouant son regret de ne pouvoir céder, et le moyen qu’elle trouve pour se débarrasser de sa passion, c’est de destiner sa fille à l’homme qu’elle aurait voulu aimer, de l’élever expressément pour lui pendant de longues années! Quel singulier moyen de délivrer son cœur que d’établir à demeure dans sa vie la pensée d’un être adoré! Ce qu’elle verra à tout instant à travers sa fille, ce sera l’image de l’amant refusé à regret; le moindre de ses conseils sera inspiré par son propre désir de plaire à M. de Camors; ce qu’elle enseignera à sa fille involontairement, ce sont les séductions, les amorces que son propre cœur aurait inventées; ce qu’elle réprimandera chez sa fille, c’est tout ce qu’elle sentira instinctivement devoir déplaire à M. de Camors. Puis, une fois cette éducation parachevée, une fois qu’elle aura fait sa fille à la propre image de son amour à elle, elle habitera auprès de ce gendre aimé avec tant de subtilité et tant de persévérance. Elle partagera son cœur entre sa fille et son gendre, mais est-elle bien sûre de tenir la balance exacte? Chaque jour elle le verra, et, rivale discrète, mais réelle de sa fille, son cœur sera sans cesse ému d’un chatouillement de tendresse qui pourra bien être une sensation des plus fines, mais qui sera à coup sûr une sensation des plus malsaines. Enfin dirai-je que Mme de Tècle me paraîtrait beaucoup plus vertueuse en cédant pour son propre compte qu’en élevant sa fille pour M. de Camors? Elle sait en partie ce qu’il est, et à l’aide de son tact féminin elle peut deviner ce dont il est capable. Or il est des choses que l’on oserait volontiers pour soi-même et qu’on ferait cependant tout au monde pour éviter à ceux qui nous sont chers. La plus vertueuse des femmes pourra s’éprendre pour un homme du caractère de M. de Camors et ne pas même reculer devant l’i-