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le citateur de Virgile, et aux conversations politiques du cénacle de provinciaux dont il est le président. Certes l’éloge sera aussi complet que possible, si je dis que ce provincial légitimiste peut soutenir la comparaison avec les magistrats de comté jacobites de Walter Scott, et que ces conversations sur Paris et la province m’ont rappelé sans désavantage aucun les nombreuses et si amusantes conversations où les squires du vieux parti tory se lamentent sur le désordre qui règne à bord du vaisseau de la vieille Angleterre depuis que les rats du Hanovre s’y sont introduits. Je veux signaler encore dans cette partie intermédiaire un passage charmant, la déclaration de M. de Camors à Mme de Tècle, où l’auteur s’est évidemment inspiré de Shakspeare. Dans ce passage, il a repris le thème musical que dans le Conte d’hiver le prince Florizel développe devant Perdita. Lorsque M. de Camors dit à Mme de Tècle : « Quand vous marchez, quand vous souriez, quand vous parlez, vous êtes charmante ;… dans les devoirs les plus vulgaires de chaque jour, vous affectez une grâce sacrée,.. » il ne fait que traduire librement les pensées de Florizel dans le ravissant passage qui commence par ces paroles :

…………. What you do
Still betters what is donc ; when you speak, sweet,
I’d hâve you do it ever……


La rencontre est-elle fortuite ? Eh bien ! elle n’en fait vraiment que plus d’honneur à M. Feuillet, puisqu’il a pu sans y prendre garde se trouver sur le terrain de Shakspeare.

M. de Camors restera la peinture la plus forte et la plus vraie qu’on ait tracée de ces existences toutes dévouées au démon du monde, si brillantes en apparence et dont les triomphes coupables se paient par de si cruelles expiations. Et maintenant M. Feuillet me permettra-t-il de lui faire entendre l’expression d’un désir qui prend sa source dans la sympathie que m’inspire son talent ? Il a montré depuis longtemps qu’il était maître souverain dans le domaine de la grâce, de la délicatesse, des sentimens aimables et subtils. La première expression de son talent a été la peinture de ce que j’appellerai l’âme humaine bien apprise ; puis, abordant résolument les sophismes du cœur et les vices de l’imagination, il nous a donné des peintures énergiques de la nature humaine mondaine. Eh bien ! qu’il monte encore un degré plus haut, et qu’il donne accès en lui à l’ambition de comprendre et d’exprimer la très grande nature humaine, celle où l’estampille divine est visible, dont les vertus et les vices portent également le-sceau de la puissance et de la fécondité. Une pareille tentative serait vraiment ori-