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finirait-on pas aussi par jouer chez Mlle Patti? Les belles représentations que l’on prépare avec de pareilles études! Chose très digne de remarque, c’est justement dans les soirées où l’étoile brille de son plus radieux éclat que cette désorganisation de la troupe vous afflige davantage. Le reste du temps, c’est fort acceptable, parfois même excellent, comme dans cette reprise de Lucrezzia Borgia donnée pour les débuts du baryton Steller, un comédien celui-là, un vrai tempérament d’artiste, en qui vous voyez revivre les traditions des Lablache et des Ronconi. Mettez un homme de ce talent, de cette bonne volonté, dans un milieu normal, et tout bientôt s’en ressentira, l’ensemble musical aussi bien que la mise en scène et la manière de se costumer, véritablement trop négligée, au point de vue théâtral s’entend, par Mlle Patti. Qu’est-ce, par exemple, que cet habit de cavalier qu’elle revêt au dernier acte de Rigoletto? A quel pays, à quelle époque appartient cet équipage? Les opéras de Verdi cependant veulent être joués, représentés; les aborder avec la routine de l’ancien répertoire italien, c’est fausser le sens de cette musique, qui ne vit déjà plus seulement de cavatines, et prend très au sérieux le drame qu’elle commente, surtout quand ce drame est de Victor Hugo. Faites au contraire qu’un artiste comme M. Steller vienne sous l’influence cabalistique d’un de ces astres, et son action en sera d’autant diminuée. « Une étoile dansait au ciel le jour de sa naissance! » Ces choses-là se peuvent dire en parlant d’une Elisabeth, mais non du débutant ou de la débutante qui naissent au monde tandis que l’étoile d’une Patti danse au firmament!

L’Opéra n’eût pas demandé mieux que de se laisser glisser sur cette pente. Heureusement il a trouvé une main ferme, capable de l’arrêter à temps. Sans doute il y a encore des lacunes ; mais ce qu’on peut dès aujourd’hui constater, c’est l’effort continu vers le mieux. Dans une troupe bien gouvernée, tout le monde compte, personne n’est indispensable. « Au théâtre, je n’ai que ma place au parterre, » répondait spirituellement le roi Charles X à je ne sais quelle députation de grognards classiques qui venait lui demander d’interdire la représentation de Hernani. Ainsi de tout ensemble sérieusement organisé, il n’y a plus là ni roi, ni duc, ni prince; un chanteur, fût-il cent fois illustre, n’a que sa place, et ce qu’on lui demande, c’est de la bien tenir en vue de l’esprit général, d’être le personnage, le moyen, non le but, — de ne pas se croire à lui seul toute la machine, dont il n’est en définitive qu’un simple rouage. Si l’admirable orchestre du Conservatoire pouvait encourir un reproche, ce serait celui-là. Les exécutans dont il se compose sont pour la plupart des artistes trop supérieurs : de là, par momens, certaine virtuosité qui se trahit dans le détail sans qu’on en ait conscience. Une oreille quelque peu exercée ne s’y trompe pas. On se dit ; j’entends tel pupitre. L’orchestre des Concerts populaires, plus franc du collier, n’a