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rantes? » Une musique douce me rend mélancolique, » soupire Jessica dans le Marchand de Venise,

I am never merry when I heer sweet music.


Que penserait l’adorable fille de Shylock en entendant certaines gaîtés musicales que d’illustres mains ont applaudies, que des voix de qualité chantent sans vergogne et sans mesure ? Sa mélancolie ferait place à la honte, à l’indignation, et peut-être bien dirait-elle avec une variante : « Je ne me suis jamais senti l’âme si triste, si navrée, qu’en entendant votre musique gaie! »

Il y a longtemps qu’on a écrit : La musique est une architecture de sons, et l’architecture une musique solidifiée, consistante. Ce mot, dont on s’obstine à vouloir faire honneur à Mme de Staël, n’est pas même de Schlegel, il est de Novalis. Ce n’est point, comme il semble à première vue, un simple jeu d’antithèses. L’œuvre d’un Sébastien Bach, profonde, infinie, fantastiquement coordonnée, pourrait très bien se comparer à tel monumental et merveilleux édifice du style germanique. Il en est de ceci, nous le savons, comme de toutes les analogies, qu’il ne faut point vouloir trop presser quand on tient à rester dans le vrai. Assurément une symphonie de Haydn, de Mozart, de Beethoven, n’a ni portes, ni fenêtres, ni métopes, ni triglyphes, et l’idée ne viendra, je suppose, à personne de se demander si le Parthénon est en ut majeur, et la cathédrale de Strasbourg en dièze. Il n’est pas moins incontestable que la musique, avec ses divisions, ses répétitions symétriques, ses phrases en rapport continuel les unes avec les autres, ses différentes parties qui se correspondent, offre dans son composé organique l’analogie la plus formelle avec l’architecture, elle aussi se basant sur des lois symétriques, sur la reproduction, la répétition, la combinaison de divers motifs concourant à l’unité du grand tout harmonique. Quand je parle à un musicien d’introduction, d’andante et d’allegro, il sait tout de suite dans quelle pièce de la composition il doit chercher la partie que je lui désigne, de même que les moindres notions architecturales m’amèneront à trouver dans un temple grec l’architrave, la corniche et la frise à leur place. Ici j’arrête mon parallèle, car il est temps qu’on sache où j’en veux venir : simplement à dire un mot de la nouvelle salle de l’Opéra, dont je désire, bien entendu, ne parler qu’en dilettante, en promeneur curieux de toute chose d’art et qui regarde du dehors, en attendant que les portes s’ouvrent et que les violons s’accordent, ce qui, si je m’en fie aux apparences, ne sera ni demain ni après. — Et d’abord « qu’est-ce que cela représente? » Question que tout le monde s’adresse, et qui, selon moi, condamne l’édifice. Un monument, temple, palais, salle de spectacle, n’est pas un tableau où doive percer l’individualité de l’artiste. Obéir au goût du moment, consulter la mode, ce n’est point d’un archi-