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théories qu’elle contient. Dans ce travail, nous ne pourrons suivre pas à pas M. Grote, ni même exposer toutes ses vues; mais nous nous en servirons souvent, prêt à reconnaître qu’on ne peut désormais rien traiter de ce qui concerne Platon et ses doctrines sans avoir préalablement pris l’avis de son nouvel interprète.


I.

Le temps nous a conservé trente-cinq ouvrages de Platon et treize lettres ; je ne compte pas quelques vers qui ne sont pourtant pas sans prix. On y joint d’ordinaire huit ou dix écrits qui n’ont jamais été tenus pour authentiques. Ceux qui étaient regardés comme tels deux cents ans après Platon sont précisément les mêmes qui nous sont restés, et c’est un motif sérieux d’en maintenir l’authenticité, quoique celle de quelques-uns ait été de temps en temps contestée. Elle ne l’a été avec suite, avec insistance, que depuis que la critique allemande s’est avisée d’y penser. Schleiermacher, Ast, Socher, Hermann, Stallbaum et d’autres se sont pour des raisons diverses, mais avec une égale hardiesse, évertués à faire des vides dans l’œuvre de Platon, et rarement l’esprit de système s’est donné aussi librement carrière pour contredire le témoignage à peu près constant de l’antiquité. M. Grote, qui connaît à merveille toutes ces élucubrations de l’érudition germanique, les expose et les discute avec une parfaite clarté, et conclut en faveur de la canonicité du catalogue admis par la plupart des critiques anciens et très probablement par les bibliothécaires d’Alexandrie. Nous sommes plus enclin à nous ranger du côté de sa prudence qu’à suivre la témérité des Allemands.

Sur quel fondement en effet s’appuyer pour reprendre ou disputer à un auteur des ouvrages qui lui ont été généralement attribués ? A défaut de témoignages nouveaux et certains qui après tant de siècles ne sauraient se produire, on ne peut guère justifier le doute que par l’examen du style, du mérite ou du sens des ouvrages qu’on veut mettre en question. Or on est généralement d’accord pour trouver que le langage, sinon le talent, est sensiblement le même dans tous les écrits que la tradition donne à Platon. Les analogies du moins sont assez grandes pour qu’ils puissent tous appartenir au même auteur, surtout quand on pense que cet auteur a écrit au moins pendant cinquante ans. Telle est en effet à peu près la durée de sa vie littéraire, si même on admet, avec M. Grote, qu’elle n’a commencé qu’après la mort de Socrate, et l’on aurait plus d’une raison d’en reculer de près de dix ans le début, s’il est vrai, comme on le raconte, que Socrate lut avec un étonnement doucement moqueur tout ce qu’il lui faisait dire en prétendant rappor-