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actuelle, mais s’adressant à la raison publique, ils n’opposent aucune entrave. Ainsi, quoique le doyen catholique romain de Limerick ait demandé le rappel de l’union et rétablissement d’une nationalité irlandaise sur une nouvelle base constitutionnelle, personne en Angleterre n’a songé à réclamer des poursuites contre lui. Les Anglais ne reconnaissent le caractère séditieux que dans les écrits qui s’adressent aux passions et les excitent à des agressions violentes. On va voir le résultat que pourra produire l’effort insolite de répression que le gouvernement va tenter en Irlande contre la licence outrée de la presse. Quand O’Connell, poussant son agitation sans issue pour le rappel de l’union, convoquait des foules innombrables dans les meetings, le gouvernement de ce temps, celui de sir Robert Peel, crut devoir mettre fin à ces attroupemens tumultueux. O’Connell et son mouvement d’agitation s’arrêtèrent devant l’interdiction du meeting de Clontarf et l’appareil d’une poursuite légale. Cependant il est difficile d’espérer qu’on aura raison du fenianisme par des procédés aussi faciles. La base d’opération des fenians est aux États-Unis. Là la secte irlandaise ne pourrait être étouffée, dispersée, réduite au silence, que par un mouvement général de l’opinion publique américaine prenant en dégoût cette conspiration sauvage contre un gouvernement étranger. Or un mouvement pareil d’opinion ne se produira point aux États-Unis au profit de l’Angleterre. La politique anglaise aura à subir ici les représailles de l’inertie regrettable qu’elle a observée pendant la guerre civile en présence des armemens des corsaires confédérés dans ses ports. Les Américains, en laissant faire les fenians, croient punir l’Angleterre des facilités qu’elle accordait aux rebelles du sud. Peut-être le gouvernement anglais se fût montré plus prévoyant et plus habile, s’il eût conduit avec moins de raideur ses négociations avec la république américaine touchant les indemnités demandées pour les avanies exercées sur le commerce maritime des États-Unis par les corsaires sortis des ports d’Angleterre. L’opiniâtreté que met le foreign office à proposer aux États-Unis, pour l’appréciation des dommages, un arbitrage que le cabinet de Washington regarde comme contraire à son droit et à son honneur est une faute qu’on a payée et qu’on paiera peut-être encore trop cher. Quant aux États-Unis, l’incident du fenianisme ne les occupe guère au milieu de leurs luttes politiques, qui vont redoubler d’ardeur à mesure qu’on approchera de l’élection présidentielle. Les chances les plus favorables accompagnent toujours la candidature du général Grant ; mais le général pourra-t-il conserver jusqu’à la fin la neutralité, qui paraît être son premier essai de tactique ? D’autres candidatures sont proposées, où les divergences des partis se prononcent par des noms dont la signification ne saurait être douteuse. Ainsi des républicains mettent en avant un des chefs les plus éminens de leur parti, le juge suprême, M. Chase. Les démocrates extrêmes colportent la candidature de M. Pendleton, nom qui leur a autrefois servi de ralliement.