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Italie, en France, en Allemagne, donner enfin une monographie aussi précise que complète de ces reliques du monde ancien, telle est la tâche que MM. Benndorf et Schoene viennent de conduire à bon terme.

On n’a eu que trop souvent l’occasion de reprocher à la science allemande ses fantaisies aventureuses. Que de fois chez nos voisins l’étude la plus précise de la réalité est devenue le point de départ des plus chimériques interprétations ! Construire, en érudition comme en philosophie, c’est un jeu qui tente les hardis chercheurs et leur cause des éblouissemens. Rien de pareil chez MM. Benndorf et Schoene; le travail qu’ils nous offrent appartient à la sévère école moderne. C’est une enquête minutieusement exacte, une description éclairée par toute sorte de rapprochemens, mais toujours appuyée sur les faits et qui ne livre rien au hasard des conjectures. Le lecteur est même tenté de les accuser de sécheresse en les voyant s’interdire si rigoureusement l’expression des idées que provoque la vue de tant d’œuvres différentes, les unes qui parlent de cet empire romain encore si imparfaitement connu, les autres qui nous reportent aux plus nobles jours de la Grèce. A propos d’une nymphe endormie près d’une fontaine, nos savans guides rappellent ces gracieux distiques tirés de l’Anthologie latine de Burmann :

Hujus nympha loci, sacri custodia fontis,
Dormio, dum blandæ sentio murmur aquæ.
Parce meum, quîsquis tangis cava marmora, somnum
Rumpere. Sive bibas, sive lavere, tace.

C’est la seule liberté qu’ils se permettent, le seul regard furtif dans le domaine des lettres. Combien d’autres rapprochemens auraient dû naître pour eux de cette étude où ils apportent, on le voit, une connaissance si approfondie de l’antiquité hellénique et romaine! En face de ces statues de Tibère et de Germanicus, à la vue de ces sarcophages qui reproduisent les plus belles scènes de Sophocle et d’Euripide, devant ces dieux des Hellènes ou ces images de rois barbares, comment se privent-ils si aisément de tout ce qui pourrait animer leur description, la rendre plus instructive, plus dramatique, sans lui rien enlever de son exactitude? Il semble que, pour se punir de ses anciens écarts, la science germanique se défie aujourd’hui du mouvement naturel de la pensée. Il y a pourtant un milieu entre les éblouissemens de la rêverie et la timidité qui nous enchaîne au sol. L’imagination dirigée par l’étude est aussi un instrument indispensable à la découverte du vrai ; on regrette de ne pas sentir ici le souffle d’un Mommsen.

Ces regrets, car ce ne sont pas des reproches, n’auront rien de désagréable pour nos deux iconographes. Après. tout, MM. Benndorf et Schoene ont fait ce qu’ils ont voulu faire : un catalogue, un inventaire, qui fût en même temps une description savante. À ce point de vue, leur