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de l’armée régulière. C’est pourtant dans ce noyau d’armée régulière formée par la monarchie, c’est dans les cadres d’excellens sous-officiers dont elle était pourvue, et qui, n’étant point composés de nobles, ne furent point entamés par l’émigration, c’est là que résida la vraie défense de la France : c’est dans cette solide réserve que se trouvèrent et le fond de résistance qui soutint le premier choc et l’élasticité nerveuse qui y répondit par un invincible élan. Le fils d’un aide-de-camp de Dumouriez, assez connu, m’a dit tenir de son père qu’au moment où les colonnes d’assaut s’ébranlèrent pour enlever les hauteurs de Jemmapes, un cri partit de la droite : « en avant ! Navarre sans peur ! » auquel fut répondu de la gauche par cette autre clameur : « vive Auvergne sans tache ! » C’étaient les anciens régimens de Navarre et d’Auvergne qui laissaient encore échapper de leur poitrine au moment du péril le cri qui était pour eux la réponse au sifflement des balles et l’écho des premiers grondemens du canon. Fidèle image de ce qui se passa au fond de ces âmes guerrières pendant ces jours de transition glorieuse, les vieilles traditions de l’honneur se mêlaient aux élans d’un nouvel enthousiasme, et les ombres de Turenne et du maréchal de Saxe semblaient encore planer au-dessus des étendards tricolores.

Ainsi, M. de Bourgoing l’établit très clairement, le salut de la république au berceau fut dû aux débris des armées que lui avait léguées la monarchie mourante ; mais tout de suite il ajoute que ces armées elles-mêmes reçurent une impulsion et comme l’infusion d’un sang plus vif par le seul fait que, les sottes barrières de l’ancienne hiérarchie militaire étant renversées et les grades supérieurs n’étant plus réservés à la noblesse, les chances de l’avancement furent ouvertes à tout le monde, et une espérance de gloire offerte au soldat le plus obscur. Pour beaucoup, ce fut plus qu’une espérance, ce fut une réalité effective et immédiate. Une nombreuse promotion d’officiers fut immédiatement nécessaire pour combler les vides laissés par la noblesse émigrée, et l’avancement démocratique reçut ainsi du premier coup une très large application. Les nouveaux appelés, vieux d’expérience bien que jeunes de grade, apportèrent dans leur commandement, non plus seulement le courage humble et résigné qui les animait la veille, mais la joie. et l’orgueil d’une émancipation inattendue. Ils se portèrent au-devant de la contre-révolution menaçante avec les ressentimens accumulés d’une dignité longtemps blessée. Plusieurs se trouvèrent tout préparés pour les plus hautes destinées ; mais il n’y a rien là de merveilleux, tout au contraire. Si les effets de ce rapide mouvement ascensionnel furent si heureux, c’est précisément parce qu’il était soudain après avoir été longtemps retardé. Tous les rangs inférieurs étaient remplis d’avance d’hommes que leurs