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état de. forces morales et matérielles la révolution française trouva chacun des états d’Europe. En réalité, cet événement sans pareil tomba à l’improviste au milieu d’une Europe divisée en trois ou quatre grandes puissances et en une infinité de petites très hostiles les unes aux autres. Absorbées qu’elles étaient par leurs propres intérêts, la nouvelle leur causa plus d’étonnement que d’épouvante et plus d’ennui encore que d’étonnement. Ce fut à leurs yeux une distraction incommode, importune, probablement passagère, à laquelle il fallait tâcher de songer le moins longtemps possible. C’est beaucoup si tout bas chacun ne se demanda point quel parti il en pouvait tirer pour son profit personnel, et de fait, au premier moment, plus d’un y crut trouver son compte.

C’était l’Angleterre, par exemple, dont la vieille inimitié venait d’être ranimée par nos derniers succès maritimes, qui s’applaudit tout haut de voir son antique rivale momentanément réduite à l’impuissance par des déchiremens intérieurs. Dans une pensée moins égoïste, le grand ministre qui régnait à Londres, plus financier jusque-là que politique, songeait avec satisfaction que, délivré de toute crainte d’agression de ce côté, il pourrait vaquer plus paisiblement à mettre son budget en équilibre. A Vienne, par un autre motif, le premier bruit des troubles de France fut reçu avec la même faveur. Là, un jeune souverain d’un esprit inquiet s’était créé des difficultés dont il avait peine à se tirer tout seul. Dans chacun des états héréditaires de la maison d’Autriche, en Hongrie, en Bohême, en Belgique, l’autorité impériale était aux prises avec des résistances armées ; mais c’était la résistance de vieilles corporations nobiliaires ou ecclésiastiques et de vieilles franchises provinciales contre des réformes tyranniquement imposées. Joseph II et son frère Léopold, élevés à la même école, étaient des philosophes despotes, qui voulaient faire le bien de leurs sujets malgré eux et leur élargir l’esprit à coups de décrets, — des libéraux autoritaires, comme nous dirions aujourd’hui, depuis que cette heureuse espèce s’étant multipliée, il a fallu inventer un nom tout exprès pour la qualifier. Le triomphe de la philosophie révolutionnaire en France ne les contraria d’abord que médiocrement, car elle leur venait en aide pour se défendre contre les seuls ennemis dont ils eussent pris souci jusqu’alors, les papes, les prêtres et les moines. Entre la constitution civile du clergé, votée chez nous en 1790, et les lois joséphines ou léopoldines, il y avait un air de famille, une sorte de fraternité philosophique, qui fit publier longtemps aux deux empereurs les liens plus matériels qui les rattachaient à la souveraine de France. Ce ne fut que quand l’orage gronda tout à fait sur les Tuileries que Léopold se souvint qu’il était frère de Marie-Antoinette. A la vérité quelqu’un à côté de lui n’oubliait pas cette qualité : c’était son