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vivait dans un temps de haute culture intellectuelle. Jamais les lettres et les arts n’ont brillé d’un plus vif éclat qu’aux jours de Périclès, de Sophocle et de Phidias. Socrate n’était donc pas seul à enseigner. Il y avait les sophistes, c’est-à-dire des hommes qui faisaient de la sagesse un métier et en donnaient leçon pour de l’argent. Leur nom, peu à peu décrié, ne doit pourtant pas être pris en trop mauvaise part; mais leur sagesse n’était pas de premier choix. C’étaient de beaux esprits, très lettrés, très diserts, qui se piquaient avant tout d’exposer d’une manière brillante des idées plus ingénieuses que solides sur toutes les choses de ce monde et de cette vie. Dans l’intérêt de leur fortune et de leur réputation, ils tenaient généralement à la popularité; la plupart ménageaient donc l’opinion, et n’affectaient de se mettre au-dessus de la foule que par leur habileté à trouver des argumens nouveaux. Ils se distinguaient ainsi de Socrate, qui méprisait le gain et le bruit, et les accusait de sacrifier la vérité au succès. Cependant ils raisonnaient comme lui; ils discutaient en professant, et, malgré tout leur soin pour plaire, la subtilité de leur esprit les entraînait à contredire le sens commun et à inquiéter la prudence des familles. Il y avait entre les sophistes et Socrate la différence de la rhétorique à la philosophie; plus préoccupé du fond des choses que de la forme, il tourna contre leur enseignement l’arme perçante de sa dialectique. Il s’aliéna donc à la fois le préjugé vulgaire et l’erreur sa- vante. On ne lui tint pas plus compte d’avoir combattu les sophistes que les ennemis de la philosophie n’ont su gré à Rousseau d’avoir attaqué les philosophes. Comme on ne discute pas sans dialectique, les sophistes et lui se ressemblaient aux yeux du vulgaire. Il les avait pour ennemis, et on le confondait avec eux. Il réunit contre lui le peuple et les lettrés. Ici se présente un rapprochement que l’on ne se permettrait pas, s’il n’avait déjà été souvent hasardé sous d’autres rapports, entre ce rôle de Socrate et la situation de celui qui brava ensemble les pharisiens, les scribes et des cités entières, comme Bethsaïda et Jérusalem. On sait ce qui en arriva à Socrate. Sa fin tragique devait apprendre à tous que la vanité irritée et la routine offensée peuvent s’élever à une fureur d’iniquité qui n’a rien à envier à aucun autre fanatisme.

Platon, en continuant Socrate, se proposa le même but, affronta les mêmes préjugés, les mêmes inimitiés, et il aurait pu rencontrer les mêmes périls, s’il n’avait mis un certain art à les éviter. Au fond, il n’épargna pas davantage les opinions dominantes, mais il les ménagea dans l’expression. Il flatta tour à tour et gronda les Athéniens, fit bonne guerre aux sophistes, mais il loua leurs talens, et, sans leur épargner les traits d’une ironie piquante, il eut l’air quelquefois de les écouter et de se soumettre. Rien ne peut donner une