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dans les Tuileries comme dans une prison en flammes, sent la fumée qui la gagne et les poutres ardentes qui craquent sous ses pas. Quelle scène ! quelle grandeur ! quelle émotion ! que de contrastes ! quel cadre mieux fait pour être rempli par le souffle d’un Shakspeare ou d’un Calderon !

Si la forme sévère du récit de M. de Bourgoing ne lui permet pas d’animer ses peintures de si vives couleurs, en revanche cette austérité a bien son avantage. La sobriété de son style et la modération habituelle de ses vues prêtent plus de relief aux rares instans où il permet à son émotion de s’épancher et à son récit d’élever la voix. Une page comme celle-ci, par exemple, ne serait peut-être pas remarquée chez un écrivain qui aurait l’habitude de trancher les problèmes historiques à coups de déclamations métaphysiques, et de peindre les situations par des métaphores à grosses couleurs. Elle a tout son prix quand on songe que celui dont elle émane a poussé jusqu’au scrupule l’étude des détails pratiques de son sujet et la crainte de faire illusion en cherchant à faire effet.

« Tel fut, dit M. de Bourgoing, le combat à jamais mémorable de Valmy : on chercherait vainement peut-être dans la suite des siècles un exemple plus frappant de cette vérité, — qu’à la guerre l’effet moral est tout. Les pertes dans chaque armée s’élevaient à peine à une centaine d’hommes : d’aucun côté, ni prisonniers faits ni canons conquis, et cette journée ne fut en réalité qu’une forte reconnaissance. A ne voir même que le résultat matériel, s’il y eut un vainqueur à Valmy, ce fut le duc de Brunswick : il resta maître des positions qu’il occupait, coupa son ennemi de sa ligne de communication la plus importante, et coucha sur le champ de bataille, tandis que Kellermann l’évacuait à la faveur des ténèbres. Et cependant cette journée reste à jamais glorieuse entre celles dont s’enorgueillit notre patrie ; l’éclat dont elle brille, semblable aux premiers rayons de l’aurore, a pour les yeux un charme que n’ont pas les feux éclatans du midi, et son souvenir vivra dans la mémoire des hommes, tandis qu’ils voueront à l’oubli des batailles où des milliers de cadavres ont jonché le sol. C’est que le 20 septembre 1792 la révolution française apparut dans toute la vigueur de la première jeunesse ; c’est que cette armée, où les militaires de profession affectaient de ne voir qu’un ramassis d’artisans indisciplinés, montra qu’elle était digne de se mesurer avec les plus vieilles bandes de l’Europe. Ce n’étaient plus là les bourgeois hollandais rassemblés en hâte sous le commandement de leurs bourgmestres ; ce n’était plus la cohue fanatique des paysans flamands ou brabançons : c’étaient les représentans armés des idées nouvelles. Elles avaient désormais à leur service des bras pour les défendre et les propager. Les hommes réfléchis ne s’y trompèrent pas, et le soir